La Traversée du temps
L’animation japonaise continue de se placer sous l’influence de Yasutaka Tsutsui : après le Paprika de Satoshi Kon, c’est au tour de La Traversée du temps, autre adaptation du romancier, de débarquer sur les écrans français. Toki wo kakeru shôjo est un roman paru au Japon sous la forme de serial de 1965 à 1966, qui s’intéresse à une jeune fille capable de voyager le temps, qui fut adapté au cinéma en 1983 par Nobuhiko Ôbayashi. L’opus anime de Mamoru Hosoda n’est donc pas une adaptation directe de l’œuvre de l’une des figures essentielles de la SF nippone, puisqu’il se déroule 20 ans après et prend pour héroïne une étudiante du nom de Makoto Konno, nièce de l’héroïne du roman, Kazuko Yoshiyama.
Makoto est un garçon manqué qui coule les jours heureux d’une étudiante sans préoccupation du lendemain. Elle passe le gros de son temps à jouer au baseball avec ses deux amis, le brillant Kosuke et le plus coulant Chiaki, dans une euphorie simple où le sentiment amoureux lui semble encore inconnu. La jeune fille se décrit elle-même comme une personne chanceuse ; pourtant cette journée qui ouvre le film la place sur une route hasardeuse de retards et incidents mineurs inhabituels, qui la précipitent à coups de battements d’ailes de papillon vers un décès imprévisible : son vélo privé de freins, Makoto est percutée par un train lancé à pleine vitesse. Pourtant Makoto reprend connaissance quelques instants auparavant, dans un passé/présent modifié, où elle a renversé une mère et son enfant, quelques mètres avant d’atteindre la voie ferrée. A-t-elle rêvé l’accident ? Tout porte à croire que non : Makoto a acquis, on ne sait comment, la capacité de voyager dans le temps. Aussi l’étudiante se met-elle à jouer le jeu de la réécriture, désireuse de mieux profiter de ses journées et de porter une réelle attention à ses camarades. Et c’est de son point de vue pluriel et privilégié, qu’elle découvre que l’école est le lieux de mille sentiments et émotions non pas insoupçonnés, mais jusqu’alors ignorés...
Auréolée de nombreux prix, cette production du studio Madhouse est une merveille de narration et de mise en scène, relecture puissante du principe de la journée sans fin dans laquelle se dissimulent de nombreuses couches de perception, de la découverte de l’amour à la science fiction pure, en passant par une mise en garde implicite au désintéressement artistique et une conception touchante de la nostalgie.
En jouant des possibilités du voyage dans le temps à très court terme - Makoto décide de s’attarder aux journées précédant directement son accident -, Mamoru Hosoda fait en effet naître une nostalgie précieuse, puisqu’elle est celle du présent. Cette notion germe dans l’esprit de Makoto alors que, figée dans la compréhension de sa fin précipitée, elle regrette de ne pas s’être levée plus tôt ce matin là, et avoir mieux profité de cette dernière journée sur Terre, et se développe avec le regard de Makoto sans cesse plus complet sur ses camarades, qu’elle avait toujours considérés avec les yeux insouciants d’une amie asexuée. Plus elle vit pleinement ses journées, et plus Kosuke et Chiaki lui paraissent eux-mêmes vivants et complets, ainsi que leur entourage insoupçonné, satellites humains évidents de l’ébullition adolescente. Cette nostalgie toutefois, si elle est chargée de l’inertie émotionnelle créée par la collision en ouverture, n’est pas triste mais pleine de promesses au présent ; un trait renforcé par l’humour qu’Hosoda développe avec talent dans sa mise en scène des élans - littéraux et émotionnels - de Makoto envers le temps qui passe et les personnalités qu’il façonne. Chaque saut de la jeune femme dans le passé s’accompagne d’une chute risible, qui allège le propos du film jusqu’à nous rendre nous même insouciants, replongés à la force du motif dans nos propres souvenirs estudiantins.
Lorsque ce point de plénitude est atteint, La Traversée du temps révèle sa véritable richesse d’œuvre de science fiction subtile. L’explication et les motivations du voyage dans le temps reflètent l’une des facettes de l’auteur Yasutaka Tsutsui, qui se mit en grève pendant plusieurs années pour protester, à sa façon, contre les contraintes que s’imposent - et imposent donc sur les artistes - les éditeurs japonais. Un péril artistique incarné par ce tableau en restauration, pivot discret de l’histoire relié à la personne de Kazuko Yoshiyama, dont on devine qu’elle en sait plus que le film ne lui fait dire, et dont la présence ne peut émouvoir que ceux qui connaissent l’œuvre d’origine. C’est autour de cette aspiration/inspiration que se joue l’intense et merveilleux mélodrame de La Traversée du temps, drôle et émouvant, vecteur d’un instant qui n’est qu’émotion, ni passé, présent ou futur mais simple incarnation optimiste d’une humanité révélée à elle-même, et tournée vers l’émotion, l’espoir, et l’autre.
La Traversée du temps est sorti sur les écrans français le 4 juillet 2007, et est disponible en DVD au Japon, malheureusement sans sous-titres.



