Lagaan
Ca fait un petit moment déjà que certains membres de l’équipe de SdA déclarent vouloir étendre leur horizon asiatique vers le légendaire Bollywood - moi y compris. Néanmoins, un apriori négatif dû à la durée moyenne de ces quelques 3000 films qui sortent annuellement des studios indiens, mais aussi certainement aux chansons et aux histoires un peu kitsch qu’ils mettent en scène avec forces figurants (je vous le répète, c’est un apriori et non une réalité, d’accord ?), avaient jusqu’à maintenant toujours temporisé mon passage à l’acte... Bref, j’ai fait preuve, pendant toutes ces années, d’un manque de tolérance et de curiosité absolument détestable, et aujourd’hui je me repentis ! Car j’ai fait le geste d’aller voir Lagaan, et j’en suis ressorti humble, mais surtout HEUREUX ! Et pas qu’un peu...
Lagaan est un film de Ashutosh Gowariker, produit par son interprète principal Aamir Khan. Si j’en crois ce que j’ai pu lire un peu partout sur le Web, le premier est un acteur devenu réalisateur encore méconnu en Inde (avant la sortie de Lagaan, en tout cas) ; tandis que le second est un acteur ultra-connu mais timide qui s’est lancé dans la production pour aider le premier à porter le film de ses rêves sur grand écran, pas refroidi par une première expérience commune du nom de Baazi (1994) qui avait fait un flop retentissant. Ensemble, ils se lancent dans la démesure de ce Once Upon a Time in India, l’un des rares succès indiens à avoir atteint l’occident (le film ayant été nominé à l’Oscar du Meilleur Film Etranger, même si on sait que ça ne veut pas dire grand chose...).
Nous sommes en 1893, dans le petit village de Champaner en Inde centrale, sous la jurisdiction du redoutable Capitaine Russell de l’Armée Britannique. En échange d’une protection fictive, les commandements anglais prélèvent aux Rajahs de tout le pays un impôt sur la récolte des paysans, du nom de Lagaan.
C’est la deuxième année de suite où la pluie rend la vie des paysans de Champaner et des villages voisins difficile. L’année précédente déjà, une mousson tardive avait condamné Bhuvan et ses compagnons à payer la taxe avec beaucoup de retard. Russell, usant d’un prétexte incroyablement insultant, compte bien leur faire payer cette insolence...
Alors que le Rajah Puran Singh rend visite au Capitaine pour lui transmettre la requête des paysans, qui demandent la suppression du Lagaan en cette année de sécheresse, l’officier britannique lui impose une seule condition : qu’il mange un simple morceau de viande devant lui. Bien entendu, le Rajah refuse, et Russell de lui rappeler le retard sus-cité pour renforcer la pseudo-légitimité de la sentence : "Dugna Lagaan" - à savoir, au lieu de la taxe habituelle, une taxe doublée.
La nouvelle se répand dans la région comme une traînée de poudre. Les villageois sont outrés et effrayés, mais leur acceptation de la domination britannique bloque leur rebellion. Seul Bhuvan (Aamir Khan), jeune homme impétueux, exprime ouvertement sa colère. Avec le chef du village et quelques autres hommes, Bhuvan va donc implorer le Rajah de supprimer le Lagaan. La "commission" indienne trouve le Rajah contraint d’assister à un match de criquet anglais. Bhuvan insulte le jeu, et Russell lui lance un défi inhabituel : si le village de Champaner peut battre les officiers britanniques au criquet, le Lagaan sera supprimé pendant trois ans consécutifs. S’ils perdent par contre, ils devront se débrouiller pour payer un triple impôt. "Promu" seul décisionnaire en raison d’une altercation antérieure entre les deux hommes, Bhuvan accepte et s’attire par la même les foudres de tous les villages de la province. La date du match est fixé à dans trois mois. Pour Bhuvan, ce n’est pas un jeu, mais une véritable guerre, sans armes, qui se prépare. Quelques hommes se ralieront à sa cause pour sauver Champaner de la famine, et réaliser le rêve de Bhuvan : que le village retrouve sa liberté d’antan...
Voila donc pour le point de départ de cette aventure incroyable qui, précisons-le tout de même, n’illustre pas un évênement authentique de l’Histoire indienne.
Par où commencer pour vous présenter Lagaan, qui ne dure pas moins de 220 minutes (oui, vous avez bien lu, 3h40) ? Déjà, je ne vous offrirais pas de mise en situation dans l’univers Bollywoodien, puisque, vous l’aurez compris, je n’y connais absolument rien. Quoiqu’il en soit, on devine aisément que, au milieu des 3000 productions annuelles, Lagaan constitue le gratin, le haut du panier, la grande classe. Il constitue aussi, je pense, un excellent point d’entrée pour le spectateur néophyte dans cet univers haut en couleurs.
Ici, visiblement, le nombre de séquences musicales est limité. On se surprendrait presque, d’ailleurs, à en redemander tant celles-ci sont magnifiques, enjouées, et superbement mises en scène par Ashutosh Gowariker. Le sujet est excellent, et aggrémenté de sous trames qui vont de la belle histoire d’amour (Bhuvan et la belle Gauri) à la trahison (Elizabeth Russell par rapport à son frère Andrew, mais aussi Lakha par rapport à Bhuvan et au village), en passant par la rédemption d’un Intouchable, l’amour à sens unique ressenti par Elizabeth pour Bhuvan (sans doute le seul moment "ridicule" du film)...
Lagaan introduit moult personnages pour nous conter cette guerre iconoclaste, et les traite tous avec le même respect. De Guran, espèce d’homme des cavernes qui ne s’exprime qu’à l’aide de hurlements et de son tambour, au barbu fou qui passe son temps à insulter les british en indien, la galerie présentée ici suscite tour à tour le rire, la compassion, la curiosité, la crainte, l’excitation... Il faut dire aussi que, sur un tel format, le développement des personnages est plus que facilité - ce qui n’enpêche pas celui d’Elizabeth de sombrer dans le n’importe quoi, puisque celle-ci apprend l’indien en une demi-journée, et que son attitude est résumée aux émotions humaines les plus primitives.
Le format donc, apporte aussi le privilège de pourvoir montrer le match de criquet dans son "intégralité" - façon de parler, bien sûr, puisque celui-ci dure trois jours, mais plus d’une heure du film lui est tout de même consacré. Remarquablement mis en scène, celui-ci présente plusieurs intérêts : un suspense insoutenable, un humour omniprésent, mais surtout la posibilité offerte au spectateur de comprendre une fois pour toutes les règles de ce sport - qui s’apparentent finalement à celles d’un baseball snob et pervers.
Usant de la culture indienne avec intelligence, Lagaan réinvente un certain cinéma "grand spectacle" en l’espace de quatre heures : dramatisme du moindre échange de regards, efficacité de l’alternance action/drame/chanson, équilibre parfait entre le "coquin" et le niais... Lagaan, plus qu’un Bollywood, est donc avant tout un film de Cinéma, international, immense, plus égocentrique qu’une production Wesley Snipes certes (voir la pression mise par le personnage de Bhuvan sur son entourage, alors que lui reste infaillible, bien coiffé et huilé), qui respire l’espoir et le plus grand savoir-faire humain qui soit : celui de choisir le bonheur de vivre en toute circonstance. Et oui, Lagaan, plus qu’un simple film, c’est la Vie, rien de moins.
Lagaan vient à peine de sortir sur les écrans français, mais est d’ores et déjà disponible en DVD zone 1 aux USA.



