Le Conte de la princesse Kaguya
Quinze ans qu’on attendait le nouveau film d’animation signé Isao Takahata ! Après un détour remarquable du côté du comic strip réaliste (Mes Voisins les Yamada), le compère de Miyazaki revient, au travers d’une fable traditionnelle japonaise, à l’imaginaire fantasmagorique estampillé Ghibli. Takahata y cultive pourtant sa différence dans le dessin et la manière d’aborder des thèmes chers. Électron libre d’un studio qui l’est déjà énormément, le réalisateur paraît avoir jeté toutes ses forces (créatrices et financières) dans ce qui semble être son chant du cygne. Un testament visuel tout simplement époustouflant.
Lorsqu’un vieux coupeur de bambous découvre un bébé caché dans le tronc d’un arbre magique, il décide, avec son épouse, de l’élever et lui donner ce qu’il pense être l’éducation qui sied à son apparition divine. Celle qui deviendra la princesse Kaguya – princesse lumière – grandit à vue d’œil et attire rapidement les convoitises des princes du royaume…
Dès les premières images du film, on mesure immédiatement l’ovni cinématographique devant lequel on se trouve. En s’éloignant des codes du dessin Ghibli, un peu comme il l’avait déjà fait pour les Yamada, Takahata nous offre une véritable œuvre d’art. Aquarelles superbes en arrière-plans et personnages tracés au fusain, le réalisateur s’appuie sur le dessin traditionnel japonais pour nous livrer un film d’animation plein de vie qui se déroule à la manière d’un parchemin ancien. Le rythme y est paisible, parfois contemplatif, à l’exception de quelques scènes hallucinantes, dans lesquelles l’esquisse et le crayonné propulsent l’héroïne à la vitesse du vent, de pages feuilletées avec frénésie. Lorsque le film retrouve son calme et le spectateur son souffle, le dessin conserve pourtant cette impression de vie, au travers de contours flous, imprécis, et constamment mobiles, même lorsque les personnages ne le sont pas. C’est ce graphisme organique, fluide et techniquement abouti, qui marque l’œuvre et laisse le spectateur comme un gamin, émerveillé, des couleurs plein les yeux. Telle une renaissance ?
Cette réinvention de la part de Takahata - 79 ans, tout de même – est également de l’ordre de la renaissance, à l’image de la princesse du film. Un retour aux sources du Japon (la légende de Kaguya est ainsi la plus vieille légende du pays), aux sources du dessin (animation traditionnelle), aux sources de Ghibli (l’héroïne féminine, le rapport à la nature). Il est difficile de ne pas remarquer les similitudes entre l’œuvre et le parcours personnel du cinéaste. Les nombreuses références à ses réalisations passées (la petite fille de la montagne d’Heidi, le bébé titubant à la Panda Kopanda, le sacrifice du Tombeau des lucioles ) participent de cet impressionnant témoignage de l’influence du bonhomme sur le cinéma d’animation moderne. Une influence grandissante, à l’image de la princesse Kaguya sur l’empire du levant. Véritable film-testament, il mêle les genres (comédie, fantastique, fable initiatique) et les thèmes (la nature bien sûr, mais aussi l’éducation, l’amour, l’argent, la religion) précédemment traités dans sa carrière. Ce foisonnement est un peu brouillon, trop rapide, rendant certaines séquences stéréotypées mais souvent lucides.
Takahata s’est fait plaisir, c’est indéniable. L’abondance de matériel rend parfois le film un peu long et les scènes virevoltantes sont tellement magnifiques que certaines séquences plus calmes semblent s’étirer plus que de raison. La musique, signée Hisaishi pour la première fois (pour le réalisateur), est plus discrète et moins enthousiasmante qu’à l’habitude. Comme si Le Conte de la princesse Kaguya mettait le dessin avant tout. Comme si ce qui devait rester dans nos têtes à l’issue de la projection n’était pas l’habituelle ritournelle de l’ami Joe, mais cette mélancolie, cet humour tinté de tristesse qui ponctue le film et l’ensemble de l’œuvre de son réalisateur gourmand. Son plaisir est mérité, et il fait grandement le nôtre.
En s’éloignant de la précision et la finesse du trait de Miyazaki, le cinéaste clôt de manière magistrale une œuvre totalement compatible avec l’esprit Ghibli (qu’il a cofondé) mais ô combien personnelle. Encore une fois, après Nos Noisins les Yamada, il livre un film qui ne ressemble à rien de connu, beau et puissant. Mr. Takahata vient de la lune, va-t-elle vraiment nous le reprendre ?
Le Conte de la princesse Kaguya sort sur nos écrans le 25 Juin.
Un grand merci à Alexia Plandé et l’équipe de Way To Blue.





