Le portrait de Petite Cosette
Le jeune Eiri Kurahashi consacre la majeure partie de son temps libre à s’occuper d’une boutique d’antiquités. Un jour, il met la main sur un verre vénitien du 18ème siècle qui déclenche en lui un trouble sans précédent. Au travers de l’objet en effet, il fait la connaissance de Cosette, une jeune fille d’une autre époque morte assassinée. Alors que sa passion pour l’apparition va grandissante, Eiri se fascine de plus en plus pour un portrait de la victime éthérée, peint par celui-là même qui a mis fin à ses jours : Marcello, artiste dont Cosette était la muse. Tous les objets présents dans la pièce au moment du meurtre, à l’image du verre, ont emmagasiné une part de la douleur de la mort de Cosette, et la retiennent prisonnière. Une prison de choses et de mémoires, dont la jeune femme ne pourra s’échapper qu’en punissant son meurtrier ; c’est pourquoi elle transfère l’âme de Marcello dans le corps d’Eiri, dont la passion pour son image semble similaire...
Le portrait de Petite Cosette fait partie de ces œuvres qui, telles Serial Experiments Lain, placent l’anime japonais au tout premier rang de l’avant-garde cinématographique mondiale. Si la série de Ryutaro Nakamura exprimait une volonté de recherche en matière de narration multimédia - au travers de l’animation, de l’utilisation de photographies, et d’un travail sur le son propices à la mise en abîme au cœur de l’univers du Wired -, celle de Akiyuki Shinbo se place toutefois sur un plan plus expérimental encore : celui de la narration figurative, uniquement visuelle. Sur une base scénaristique relativement simple - l’obsession d’Eiri pour une image maudite - Shinbo construit un univers abstrait dans lequel se mélangent réalité et fantasmes, au sein d’une phantasmagorie faite d’objets dotés de mémoire.
Au travers de ses cadrages ambigüs - les personnages étant tour à tour perdus dans le cadre ou au contraire incapables d’y être contenus - et de ses fulgurances graphiques - la violence horrifique des tourments d’Eiri - Le portrait de Petite Cosette dépeint l’enfer personnel que se crée un artiste à la force de son obsession. Des bribes qui sont autant d’idées préconcues, d’objectifs à atteindre et d’échecs à éviter, et qui conduisent immanquablement l’artiste à s’enfermer dans une illusion de sa propre fabrication. Ainsi la volonté artistique d’Eiri, jusqu’alors contenue - ou justement indéterminée - s’exprime-t-elle réellement le jour où le jeune garçon tombe sur le portrait de Cosette. Quelque chose dans le trait de l’artiste fait naître en lui une volonté de mimétisme mal interprétée : persuadé d’être obnubilé par la jeune femme qui a servi de modèle au peintre, il est en réalité absorbé par le ressenti d’un autre, celui de Marcello. Eiri s’éprend d’une image, d’une beauté qui n’est pas réelle mais pervertie par la subjectivité, et hérite ainsi du courroux d’un esprit, déjà piégé - au sein d’objets - dans la vision que son environnement extérieur possédait d’elle. On comprend dès lors l’erreur de jugement et la volonté déstructrice de l’esprit vengeur : si Eiri tombe amoureux de cette même vision que Marcello, se pourrait-il qu’il partage avec lui la même âme perverse ? Sinon, pourquoi se serait-il épris de son image plutôt que de sa réalité ?
Le personnage d’Eiri, dans sa volonté masochiste de laisser sa muse l’entraîner où bon lui semble, incarne toute la volonté artistique et son potentiel ravageur. Dès lors qu’une idée pénètre l’esprit d’un créateur, l’objectif artistique devient un fantasme, par définition hors de portée. La perfection n’étant pas de ce monde, elle ne peut exister qu’au travers de défauts que le lissage de l’objectivité picturale ne peut que difficilement retranscrire. Pourtant, c’est sur les traces d’une telle vérité que Cosette entraîne Eiri, au risque de briser son esprit. La retranscription visuelle de son tourment, enfer mécanique fait de rouages et de chaînes à échelle gargantuesque, fait partie de la réussite du Portrait de Petite Cosette. Celui-ci possède une qualité graphique hallucinante, et sa construction cinématographique - à savoir son rythme, son mouvement, sa mise en musique - possède un caractère hypnotique proprement fascinant. La bande-son signée Yuki Kajiura (auteur de la magnifique partition de Noir) renforce la cohérence improbable de cet univers mixte, à mi-chemin entre le naïf et le grotesque, et termine de nous emporter dans sa beauté singulière.
Nul doute que bon nombre de spectateurs occidentaux se perdront dans cet étalage libre de pensées conflictuelles, dans ce tiraillement entre l’art et son objet, entre la représentation et le modèle. Mais ceux qui sauront se laisser porter au plus profond de l’âme d’Eiri, effectueront un voyage majestueux, éblouissant et violent, au cœur d’un insconscient créateur. Le portrait de Petite Cosette est une petite merveille de l’animation expérimentale, et rappelle combien les japonais sont maîtres en matière d’innovations cinématographiques - si tant est bien sûr, que vous ayiez fait l’affront de l’oublier.
Le portrait de Petite Cosette est disponible en DVD zone 2 français chez Kaze, dans un luxueux coffret édité à 5 000 exemplaires. 3 disques au programme - les 3 OAV, les bonus et la bande originale - ainsi qu’un livret et 4 ex-libris agrémentent la découverte de ce petit bijou gothique.
Site officiel de l’édition Kaze :
http://petitecosette.com



