Le Profond désir des dieux
Plus qu’un film, Le profond désir des dieux constitue une véritable expérience, Shohei Imamura nous conviant à un voyage immobile dans le temps.
Un ingénieur de Tokyo débarque sur l’une des îles de l’archipel d’Okinawa pour trouver une nouvelle source d’eau douce afin d’alimenter une usine de sucre, qui ne peut pas fonctionner en raison de la sécheresse. A sa descente de bateau, il découvre un Japon qui a conservé des croyances ancestrales. Les responsables du village lui donnent comme assistant Kametaro, le fils cadet de la famille Futori, qui est mise à l’écart du village en raison des écarts de ses membres par rapport à la morale. Le doyen a eu des enfants avec sa fille devenue veuve et son fils est accusé, entre autres, du même vice.
« Je suis intéressé par la relation entre la partie inférieure du corps humain et la partie inférieure de la structure sociale sur laquelle s’appuie la réalité quotidienne du Japon », a déclaré le cinéaste japonais pour définir son cinéma. Une citation qui s’applique parfaitement au Profond désir des dieux.
Cinéaste prodigue, Shohei Imamura a toujours aimé le mélange des genres. Il en apporte ici une preuve de plus : Le Profond désir des dieux est une fiction qui emprunte aux films ethnographiques, documentaires... Intégrées ou périphériques à l’action, son film intègre des séquences sous-marines de pêcheurs à pied avec des filets ou de villageois célébrant sur une plage un rituel pour repousser les insectes. Des idées glanées lors de l’enquête fouillée qu’il réalise traditionnellement pour préparer ses films. L’épisode du porc, dévoré par les requins après être tombé du bateau le transportant, n’aurait pu être inventé.
Dans le film concocté sur la base de cette enquête, l’île semble occuper un espace temporel qui s’est replié et où temps contemporain, ancien et mythologique seraient mélangés. Ces trois temps sont personnifiés par les trois membres masculins de la famille Futori, respectivement Kametaro, son père et le grand-père. Imamure montre une collectivité où les croyances ancestrales sont encore profondément ancrées et qui est bousculée par les changements qu’implique la modernisation du pays.
Avec ce projet, qui le conduira à la banqueroute, le cinéaste avait l’ambition de faire un film sur les racines du peuple japonais.
Le choc entre modernité et cette société très proche de la nature se retrouve de la façon la plus prononcée au niveau individuel dans la rencontre entre Toriko, cadette de la famille Futori, et l’ingénieur. La première, jeune femme attardée mentale, représente l’être humain à l’état de nature. Elle ne possède aucune des inhibitions qui s’imposent aux humains pour qu’ils puissent vivre relativement paisiblement en société. A l’opposé, l’ingénieur est le symbole de la société moderne, rationnelle. Il est d’autant plus contraint par celle-ci du fait de sa position sociale de mari de la fille de son patron.
Toriko est, elle, seulement animée par le désir, le sexe ; énergie primitive sans laquelle une société dépérit. Si elle est mentalement attardée, elle fait preuve d’une détermination totale - comme de nombreuses femmes peuplant l’œuvre d’Imamura - et d’une pureté d’intention qui manquent cruellement à l’ingénieur, et dont elle paiera le prix.
Les films de ce cinéaste nous réservent traditionnellement de beaux moments sur le plan visuel et il en est de même ici. En particulier lors des scènes de mer souvent filmées à l’aube, où le rose du soleil et le bleu pâle de la mer donnent l’impression au spectateur de se retrouver face à un paysage originel. Je ne sais pas si Terrence Malick a été influencé par Le Profond désir des dieux, mais ces plans ne dépareraient pas dans ses films.
Dans une de ces séquences, les villageois, partis à la poursuite de fugitifs qui ont violé les règles de la communauté, revêtent des masques et deviennent ainsi symboliquement des dieux. Le film bascule alors dans une dimension quasi-mythologique où l’histoire de ce couple en fuite rejoint un ancien mythe de l’île, conté plus tôt par un ancien combattant.
Mais il s’agit du chant du cygne d’une culture traditionnelle qui va être balayée par la modernité. Comme l’individu refoule ses pulsions pour intégrer la civilisation, cette société fait de même avec ses traditions, les cachant aux visiteurs avant de les oublier. De nouveaux dieux ont pris l’ascendant. A la voile rouge du bateau à la dérive répond dans le plan suivant le grand panneau rouge sang d’une publicité Coca-Cola qui accueille les touristes à la descente de leur avion.
Edité par Elephant Films, le film est disponible depuis le 15 novembre en Combo (Blu-ray+DVD) ; il est sorti en même temps que Désirs volés, Mon deuxième frère et Désir meurtrier.



