Le secret des poignards volants
Hasard du calendrier de la distribution en France, les films de deux réalisateurs que la critique aime détester ont débarqué la même semaine sur nos écrans à la fin 2004 : Spike Lee avec She Hate Me et Zhang Yimou avec Le Secret des Poignards Volants. Si le film du réalisateur américain m’a cette fois-ci déçu, ce n’est pas le cas pour le réalisateur chinois. Son style est à l’exacte opposé de la tradition cinéphilique française de la chronique réaliste. Un temps plébiscité lors de l’émergence de la cinquième génération de cinéastes chinois, dont il est l’une des figures de proue, iI a été ensuite victime d’un retour de balancier bien classique. D’autant plus que l’esthétique de la nouvelle génération de l’empire du milieu est plus conforme au moule de la critique française.
Xia-Mei, danseuse aveugle de la maison des “fleurs”, le pavillon des pivoines, est suspectée d’être la fille du chef du clan des poignards volants. Une organisation que l’empereur de Chine pourchasse car elle menace son pouvoir. Après son arrestation, une fausse évasion est organisée par le capitaine Jin déguisé en chevalier errant. Le capitaine Leo les suit avec comme objectif de découvrir la cache du nouveau chef du clan.
Les éléments classiques du wu xia pian : le combattant aveugle, les faux-semblants, les espions... parsèment le cours du film, dont King Hu est la grande référence. Les deux réalisateurs ont en commun un goût pour un cinéma très graphique. Le cinéaste de la couleur, Zhang Yimou, rend ici un bel hommage au cinéaste du mouvement. La référence la plus évidente est bien sur celle de l’ ”attaque aérienne” dans la forêt de bambou. La plus belle pièce cinétique et sonore du film, qui n’a pas à rougir face à son modèle de Touch of Zen. La prépondérance accordée aux femmes est l’autre élément qui rapproche ces deux metteurs en scène. Zhang Ziyi rejoint la longue liste des héroïnes tragiques de Zhang Yimou.
L’absence de sentiment dans ses personnages est le reproche le plus souvent (toujours) retenu à l’égard de Zhang Yimou. Mais cette absence de supplément d’âme, Yimou la pallie ici largement par son esthétisme et son brio. Il parvient même la gageure de se surpasser par rapport à Hero , qui présentait certains sommets. Et si le sentiment laisse à désirer, le réalisateur d’Epouse et Concubine n’est cependant pas avare de romantisme.
Après l’artificialité de la photographie de Hero , Yimou revient à une photographie plus naturelle. Les longues focales, et donc la faible profondeur de champs, pour les scènes dans les forêts de bouleau, donne une photographie quasi-pointilliste. La nature répond ainsi à la richesse de la décoration du pavillon des pivoines. Le résultat est tout simplement fabuleux.
Vilipendé à juste titre pour le message politique “crapoteux” qui sous-tendait son précédent opus, Hero , étrangement personne n’a souligné “l’autocritique” que constitue Le Secret. En effet, dans celui-ci, les ultimes décisions des personnages principaux se font au détriment de leur groupe, ils ne se sacrifient pas pour elle.
Au final, Le Secret dévie de sa trajectoire de film martial vers ce qu’il est vraiment : un film “sentimental”. Yimou exécute d’ailleurs en deux plans l’histoire de l’affrontement du clan avec l’Empereur, montrant que ce n’était pas pour lui le plus important. Le spectateur "international" aura droit au dessert, mais aura été privé de fromage.
Cette dernière accusation - Le Secret serait un film formaté pour les publics internationaux - laisse rêveur. Malgré un début de reconnaissance pour Zhang Ziyi grâce à sa présence dans Tigre & Dragon puis Hero, sa plastique asiatique n’est pas suffisante pour attirer les foules, fut-elle mâle. Quant aux deux héros, Takeshi Kaneshiro et Andrew Lau, ils sont aussi inconnus en dehors de l’Asie, qu’ils sont connus là-bas... Ceux qui n’en seraient pas convaincus pourront s’intéresser à la distribution du film aux États-Unis. Après les 53 millions de dollars rapportés par Hero , le blitz marketing de Sony, qui a distribué le film dans une centaine de salle, fait figure de pétard mouillé.
Le réalisateur chinois veut tout simplement faire des films pour un large public. Une ambition qui n’a rien de déshonorante, si la qualité est au rendez-vous. Ce qui est le cas ici.
Le secret des poignards volants est sorti sur les écrans français le 17 novembre 2004, et est par ailleurs disponible en DVD HK depuis peu.




