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Hong Kong | Festival du film asiatique de Deauville 2003

Leaving in Sorrow

Hong Kong | 2001 | Un film de Vincent Chui | Avec Tony Ho, Ivy Ho, Shawn Yu, Crystal Lui, Duncan Lai, Sheung Mingfai

Peu nombreux sont les films hongkongais à aborder de front les problèmes politiques, économiques ou sociaux de l’ex-colonie. A quelques rares (et remarquables) exceptions près (le magnifique From the Queen to the Chief Executive de Herman Yau notamment), ces problématiques sont généralement reléguées à un second niveau de lecture, ou alors servent simplement de point de départ à des comédies "sociales" (on pense aux films avec Miriam Yeung, par exemple). Pour ce qui est des constats purs et durs à la Sentenced to Hang (dont je viens d’apprendre qu’il est un remake d’un certain Kidnap de Chan Chong avec Lo Lieh - ça calme !), autant dire que ça ne se bouscule pas au portillon.
La découverte de Leaving in Sorrow, première réalisation de Vincent Chui, est donc doublement surprenante : de par le "sérieux" de son sujet, d’une part, qui fait d’emblée de lui un film "rare" ; mais aussi parce que son ambition narrative est d’une complexité parfaitement inhabituelle, au sein du monde sans cesse plus large (et c’est tant mieux !) des réalisations numériques...

Difficile de résumer Leaving in Sorrow - qui débute fin 1996 pour se conclure plusieurs années plus tard. Au cours de ces quelques années, Vincent Chui nous emmène d’une expectative (la rétrocession) à une ébauche de résolution (la fin de la crise économique qui a ébranlé Hong Kong) de façon particulièrement elliptique, en suivant trois entités - symboles d’autant de déracinements (physique, psychologique et potentiel).
Ray a quitté Hong Kong, où son père travaille en tant que chauffeur de bus, pour faire ses études à San Francisco. Coureur de jupons incorrigible, il s’est éloigné non seulement de son pays mais aussi de sa famille, et ne donne jamais de nouvelles à son père... jusqu’au jour où il s’inquiète lui-même de ne plus en avoir.
Alex Lai vit à Hong Kong avec sa femme Ivy, redoutable agent immobilier. Lui-même pasteur, il doit se battre non seulement contre les tentatives d’exil de sa femme à New York, mais aussi contre la vente de l’immeuble hébergeant les locaux de sa communauté.
Hong, enfin, est journaliste pour un canard à ragots, et passe son temps à convoiter et traquer sa chef de rubrique, la charmante mais peu engageante Chris. De mensonge en mensonge, Hong apprendra à vivre une réalité fondatrice au travers de la demoiselle lorsque celle-ci, exilée de Pékin après le 4 juin 1989, lui contera son histoire...

Vous aurez remarqué que, avant de vous présenter les protagonistes du film, je ne vous ai pas parlé de trois personnages mais de trois entités. La raison de cette dénomination vient du fait que l’on ne peut pas véritablement dire qu’il y ait trois ou six protagonistes dans Leaving in Sorrow : les trois héros du films sont en réalité trois concepts relationnels, à la fois humains, sociaux et politiques, axés sur au moins deux personnages d’importance variable.
Ray et son père représentent le couple Hong Kong / Chine, vécu du point de vue de l’enfant, privé de sa mère (patrie). Totalement détaché de ses racines culturelles, Ray rejoint son père en Chine, dans le village natal de ce dernier, à l’occasion du décès du dernier membre de la génération de ses parents.
Chris, elle, est une enfant rejetée de cette même mère patrie, et porte en elle les blessures de l’exclusion. A la différence de Ray, Chris a connu sa "mère", et n’a par conséquent pas la même hésitation, quant à l’identité à laquelle elle aspire. Ce qui est loin d’être le cas de Hong, dont les mensonges symbolisent parfaitement la crise d’identité HK pré-rétrocession.
Alex et Ivy enfin, représentent la véritable nation HK, presque indépendante, qui ne comprend pas son rattachement à un pays ou un autre. Tandis qu’Ivy tente de fuir pour éviter d’affronter l’inconnu, Alex tente - en vain - de contenir un éparpillement inévitable, qui trouve écho jusque dans son couple.
A travers ces rapports père/fils, mari/femme, ami/amie, Vincent Chui résume toute la problématique de l’identité hongkongaise, amenée à émerger de la rétrocession, et aussi d’une crise économique sans précédent.

Les trois entités/symboles protagonistes de Leaving in Sorrow semblent traverser le temps sans être soumis à ses règles - une sensation notamment due à un saut narratif de plus d’un an au cours de l’histoire, quasiment imperceptible (on passe de juin 1997 à la fin 1998). C’est là l’une des nombreuses réussites à l’actif de Vincent Chui sur cette première réalisation, qui peut aussi être imputée à ses acteurs globalement excellents (Tony Ho et Ivy Ho notamment, ainsi que la très touchante Crystal Lui). Mais le plus impressionnant bien sûr, c’est que le metteur en scène soit parvenu à traiter cette histoire-somme avec aussi peu de moyens, sans que le spectateur ait l’impression d’assister au brouillon potentiel d’un drame en cinémascope.

Je n’irais pas jusqu’à dire cependant que Leaving in Sorrow est une réussite à 100%. Les trois entités ne sont pas traitées sur un même pied d’égalité ; ainsi a-t-on l’impression que Chui apprécie beaucoup moins le personnage de Ray que ceux de Chris ou Alex. Ces trois personnages ont néanmoins le mérite de balayer un certain spectre émotionnel : Chris et Ray sont chacun à une extrémité, alors que seul Alex, au centre car hongkongais "conscient", possède les éléments nécessaires à la synthèse de la situation. A lui seul et en l’espace de quelques phrases, Alex rejoint d’une certaine façon cette déclaration merveilleuse qui clôt le Frugal Game de Derek Chiu : "Nous pouvons tout faire, puisque nous sommes hongkongais". L’essentiel étant pour lui d’avoir su conserver son identité, tandis que les autres protagonistes de Leaving in Sorrow luttaient pour compléter les leurs.
Quoiqu’on en dise, et bien que son film soit parfois un peu fastidieux, Vincent Chui mérite donc très certainement les félicitations de l’assemblée pour avoir réussi à fournir une première œuvre aussi riche et cohérente, aussi proche de l’objectif narratif qu’il semble s’être fixé. C’est une considération subjective et autoréférentielle, certes, mais quelle œuvre ne l’est pas ?

Leaving in Sorrow est disponible en DVD HK (sous-titré en anglais ou en mandarin, au choix) chez AVP.

- Article paru le mercredi 19 mars 2003

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