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Corée du Sud

Les Eunuques

aka Eunuch - Naeshi | Un film de Yi Tu-yong | Corée du Sud | 1986 | Avec Ahn Seong-Ki (Ahn Seong-Gi), Lee Mi-Suk, NamGung Won, Kim Jin-Ah

"La vie d’un eunuque est aussi fragile que celle d’un moustique."

Drame historique à tendance folklorique et mélodramatique, Les Enuques, précédemment adapté par Shin Sang-Ok en 1968 (voir l’article de Takeuchi), et projeté à Deauville 2002, décrit les conditions de vie et les intrigues à la cour du palais royal autour du 16ème siècle, à l’époque de la dynastie Yi. A travers le prisme de cette caste particulière, chargée de garder les dames de la cour, Yi Tu-yong dresse un portrait réaliste et critique d’un pouvoir coupé du peuple, où l’ambition fait fi de la tragédie humaine.

Alors que la reine désespère de ne pas avoir d’héritier mâle, le roi se voit attribuer des concubines choisies par sa mère, sous l’influence d’un moine bouddhiste intrigant. Les familles sont prêtes à vendre leurs filles afin que celles-ci parviennent à la cour, où honneur et richesse leur sont promises. Les eunuques, qui gardent ces dames, jouissent aussi d’une grande influence et d’un certain pouvoir auprès du roi. Lorsque la reine demande à son fils de prendre Ja-ok pour concubine, le roi flaire le manège d’une famille ambitieuse, et se sentant manipulé, inverse pernicieusement les rôle en prenant la servante de Ja-ok pour concubine, et désobéissant à sa mère. Pendant ce temps, Jung-ho, ancien amant de Ja-ok devenu eunuque, parvient à se faire recruter dans la garde rapprochée du roi. Son comportement suspect attire l’attention et il est sévèrement puni pour avoir levé les yeux sur les dames de la cour. Alors que Ja-ok se retrouve obligée de servir son ancienne domestique, qui lui témoigne mépris et jalousie, Jung-ho essaye de la sauver en s’enfuyant avec elle. Découverts, ils vont alors vivre un véritable calvaire dont les évènements entraîneront la cour dans une tragédie sanglante.

Rappelant les oeuvres classiques du maître Im Kwon-taek, Yi Tu-yong s’intéresse à la vie au sein du palais royal, inscrivant son film dans le cadre médiéval historique cher à la fierté nationale coréenne, mais sans en situer précisément la réalité des personnages, ni les évènements. Adapté d’un roman, Les eunuques prend pour cadre unique le palais royal, isolant ces personnages dans un monde hermétique, volontairement coupé du peuple. Telle la cité interdite chinoise, le palais est un lieu clos où tout évènement risquant de porter préjudice au pouvoir en place est maintenu au secret. Sans véritable héros ni personnage principal, ce film s’inscrit dans une réflexion sur le pouvoir et l’histoire tourmentée de la Corée.

Si aucun personnage ne se détache réellement, l’auteur a néanmoins privilégié une approche humaniste qui se traduit dans le regard qu’il porte sur l’évolution de Kwang-jin, l’un des chef des eunuques. Le personnage est un homme froid et dur, impassible envers ses condisciples comme si sa propre condition lui avait ôté toute compassion. Lors d’une scène où il recrute de nouveaux eunuques, il explique cliniquement à une mère comment castrer son bébé en enserrant la verge de l’enfant avec du fil de soie (preuve à l’appui). Malgré sa dévotion et son sens du devoir, il n’en est pas moins juste et sensible aux efforts de Jung-ho pour se faire engager. Mais son excès de droiture envers le roi l’aveugle sur la nature de son existence et de celle du pouvoir.

Il se fait malgré lui complice des jeux pervers du roi qui, pour humilier la jeune Ja-ok, coupable de ne pas offrir son amour au roi, oblige Jung-ho, ligoté, à assister dans une pièce attenante, à leur nuit d’amour. Questionnant l’autorité et le sens du devoir, Yi Tu-yong montre habilement comment Kwang-jin se rend peu à peu compte de l’absurdité de ses actes et de la vanité de sa propre existence. Au contact de son collègue médecin qui se suicide, apprenant que le reine est enceinte et comprenant que ce secret signe son arrêt de mort, il réalise du même coup que sa vie ne vaut rien aux yeux de ceux qu’il sert. Dans un final, que l’on croirait volontiers issu d’un chambara, le personnage de Kwang-jin fait alors éclater toute sa frustration et son humanité à travers sa révolte meurtrière et suicidaire contre un pouvoir corrompu.

La mise en scène de Yi Tu-yong, classique et maîtrisée, hésite parfois entre le folklore, reflété par les costumes aux couleurs chatoyantes et les cérémonies protocolaires, et le réalisme brut d’un monde impitoyable pour les sentiments et les destins de ces êtres privés de plaisir. Distillant avec sensibilité une touche mélodramatique, Yi Tu-yong fait aussi de ces femmes asservies aux caprice du roi, des victimes touchantes et belles. L’érotisme, filmé parfois platement, n’est pas non plus absent, à l’image de la préparation des filles pour leurs visites nocturnes au roi, ou lors des ébats de ce dernier avec ses concubines. Mais ici aucune complaisance, même si la beauté de la femme coréenne éclate à chaque plan.

Sans grand inventivité visuelle, ce drame parvient néanmoins, grâce à la richesse du scénario, à maintenir constant l’intérêt pour cette captivante reconstitution des moeurs de l’époque, en évitant tout moralisme et excès de sentimentalisme ; ajoutant même une touche de suspense lors du final. Réflexion sur la dégénérescence du pouvoir, le film ne cherche pas à glorifier l’histoire coréenne à l’image de nombreuses oeuvres ciblant cette période historique.

Evoquant avec un humanisme universel le désir de ces hommes meurtris dans leur chairs, et dont la vie est suspendue au bon vouloir de leur souverain, cette tragédie est exemplaire du tiraillement entre tradition et modernité, à l’oeuvre chez cette génération des cinéastes coréens.

Les Eunuques a été présenté lors du Festival du Cinéma Coréen à Paris organisé par l’Office National du Tourisme Coréen.

- Article paru le mardi 16 novembre 2004

signé Dimitri Ianni

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