Les Feux sauvages
Les éternels.
Jia Zhang-Ke continue de construire une œuvre sans doute unique dans l’histoire du cinéma de fiction. Son nouveau métrage est une plongée de plus de 20 ans dans la spectaculaire mutation de la Chine via le prisme des films qu’il a mis en scène sur cette période.
Deux jeunes gens, Qiaoqiao et Bin, vivent dans le nord de la Chine au début des années 2000. Même s’ils sont ensemble, Bin – suivant en cela l’exemple de millions de ses compatriotes – fait le choix de l’émigration intérieure pour profiter des possibilités offertes par la perspective du décollage économique du pays. Laissée sans nouvelles dans sa ville natale de Datong, Qiaoqiao part à sa recherche et traverse le pays.
L’histoire d’amour tient plus de l’excuse scénaristique qu’autre chose. Elle aurait pourtant pu servir de porte d’entrée émotionnelle pour les spectateurs n’étant pas familiers des œuvres du cinéaste. Les Feux sauvages n’est pas son film le plus aisé d’accès pour de nouveaux venus. Les cinéphiles qui auront suivi son parcours depuis les débuts de sa carrière, sont en revanche en terrain connu. Ils retrouvent de vieux compagnons de route : personnages, acteurs, situations, lieux... Sa dimension méta sera gratifiante, comme lorsque l’on retrouve des amis perdus de vue.
Devant nos yeux défilent les impressionnantes mutations connues par la Chine sur plus de 20 ans. Les Feux sauvages est découpé en trois périodes correspondant à autant d’importants moments de bascule de la Chine : son entrée dans l’organisation mondiale du commerce et l’accélération de son développement économique ; l’apogée de cette expansion avec en point d’orgue la construction du barrage des 3 gorges et enfin – plus récemment – la pandémie de Covid et ses conséquences.
La technologie permettant de rendre compte de ces bouleversements a également connu des changements vertigineux. A part le 0 et le 1, quoi de commun entre la DV utilisée pour certaines séquences au début du film et la caméra HD maniée par Eric Gautier en 2023 ? Les Feux sauvages est constitué de l’assemblage de rushes de certains de ses films précédents, dontPlaisirs inconnus en 2002 et Still Life en 2006, et de nouvelles séquences tournées en hausse définition à Datong en 2023.
Lettré de l’image.
Il n’y a non plus rien de commun entre le palais de la culture décrépi de la Chine de Mao où des thés dansant étaient organisés à l’orée du siècle, et le Datong ultra-moderne où Qiaoqiao et Bin se retrouvent de nos jours.
Filmant les bâtiments décatis de la Chine post-Mao et les paysages urbains souvent blêmes de l’empire du Milieu ayant retrouvé sa grandeur, Jia Zhang-Ke transcende ses œuvres grâce à la poésie qui se dégage du choix de ses cadres.
Tandis que leur pays se transforme sous nos yeux, les personnages vieillissent. Dans ce monde en flux qui s’est formidablement enrichi, outre la présence de Zhao Tao, une des constantes des œuvres de Jia Zhangke, est l’incapacité de ses personnages à trouver le bonheur. Aveu d’échec, Bin revient au pays, vieux et complètement dépassé par la génération Tik Tok.
Dans une dernière séquence très révélatrice, Qiaoqiao rejoint un peloton de joggers, qui équipés d’une lampe frontale s’éloignent dans la nuit. La jeune femme continue d’avancer, laissant Bin, spectateur, sur le trottoir. La Chine continue sa longue marche.
Les Feux sauvages sort sur les écrans le 8 janvier 2025.



