Les fleurs de l’enfer
Ma première rencontre avec une œuvre du réalisateur Shin Sang-Ok, monument du cinéma coréen, est malheureusement un rendez-vous raté.
Peu après son service militaire, Dong-shik vient à Séoul pour rechercher son frère aîné qui y a disparu. Il est chargé par sa mère de le ramener au village. A peine débarqué dans la capitale coréenne, il se fait délester de ses maigres possessions alors qu’il tentait de venir en aide à une jeune femme, victime d’un vol. Il retrouve son frère Young-shik, mais celui-ci est à la colle avec une prostituée et fait partie d’un gang qui vit de petites combines près d’une base américaine.
Les débuts du film étaient pourtant prometteurs. Shin San-Ok adopte un ton résolument néo-réaliste, et nous entraîne dans le Séoul de l’après-guerre de Corée. La présence des troupes américaines a donné lieu au développement d’une véritable économie spécialisée : trafic, bar à hôtesses... Ce que le réalisateur nous montre avec des scènes prises sur le vif.
Mon malaise à l’égard des Fleurs de l’enfer va se développer au cours du film, tant au niveau du scénario que des thèmes abordés.
Le pivot du scénario est plutôt branlant. La prostituée, dont le frère aîné s’est amouraché, séduit le frère cadet. Et elle pense que même si elle trahit le premier, le petit dernier va la suivre. Etant donné la psychologie du personnage de Dong-shik, il est impossible d’y croire une minute. Le spectateur actuel est sans doute plus sophistiqué que celui de la fin des années 50, mais quand même.
Au centre du récit se trouve également une opposition primaire entre la ville et la campagne, et par extension entre l’Occident et l’Orient. La première serait le lieu de tous les vices et la seconde un petit paradis. Ce schématisme est également présent dans certains des films chinois de la même période, qui ont été projetés lors de la rétrospective sur le cinéma chinois, l’année dernière.
La ville est stigmatisée dès l’ouverture du film par l’insécurité qui y règne. Dong-shik s’y fait dévaliser dès son arrivée. Le Séoul décrit par Shin Sang-Ok est symbolisé par les prostituées. Ici des filles à soldat, que les coréens ont affublé du nom de Yang-Kongjou, ou princesse occidentale. A aucun moment, il ne sera porté un regard positif sur la ville.
Interprétation plus extrémiste, Fleurs de l’enfer se prête à une lecture anti-américaine : la prostituée - l’Amérique - tente de séparer deux frères, la Corée du Nord et du Sud...
Détail croustillant de la biographie du réalisateur, celui-ci a eu l’occasion de goûter aux trois régimes. Réalisateur au Sud, Shin San-Ok a été enlevé par le Nord, dont il s’échappera pour se retrouver aux Etats-Unis.
Ma gêne face à ce film est qu’il est difficile de faire le tri entre une part de poujadisme et la réalité sociale de l’époque. Notamment, les bouleversements qu’a pu entraîner la présence permanente de militaires américains. Et sur ce dernier point, nul doute que Shin Sang-Ok est bien mieux placé que moi pour en parler...
Heureusement, le film se termine sur une note positive. Après une course poursuite digne des films de gangsters américains, dont le film s’inspire pour certains épisodes, la fleur et son marlou vont retrouver l’élément auquel ils appartiennent, la fange des marais.
Pour ceux qui souhaiteraient voir un film traitant d’un sujet proche, on conseillera sans hésitation La Barrière de Chair de Seijun Suzuki, mélange de théâtralité et de réalisme.
Film présenté au cours de la rétrospective "50 ans de cinéma coréen" à la Cinémathèque Française (05.01-26.02.05).

