Les Funérailles des roses
Je suis toujours très soupçonneux à l’annonce de la sortie d’une « perle rare » des années 60 (ou d’autres décennies) baignant dans l’expérimental. Les Funérailles des roses, film toujours fascinant à bien des égards, m’a réservé une bonne surprise.
Jeune travesti, Eddie, est la maîtresse de Gonda, propriétaire du bar Genet où elle travaille et est la nouvelle favorite des clients. Cette situation suscite la jalousie de la patronne de l’établissement, Leda, travesti plus âgé et amant de Gonda. Enfant, Eddie a été marqué par le départ de son père du foyer et cette disparition continue de l’affecter. A-t-il tué sa mère et son amant, comme le spectateur le voit à l’écran, ou est-ce seulement un fantasme ? Pendant son temps libre, il fréquente la scène underground et en particulier un cinéaste, Guevara, qui organise à domicile des projections se transformant en surprise party pour adultes.
La nouvelle vague japonaise a donné de la visibilité aux habitants des marges de la société nippone. La question coréenne est très présente dans l’œuvre de Nagisa Oshima : La pendaison, L’armée oubliée de l’empereur... Le réalisateur Toshio Matsumoto nous plonge lui dans la scène gay du Tokyo des années 60.
Le film s’y déroule, mais il est aussi entrecoupé de témoignages d’homosexuels anonymes, mettant en exergue une évidence, qui n’est toujours pas acceptée par tout le monde aujourd’hui : le caractère naturel de cette orientation sexuelle. Sa dimension documentaire est renforcée par le recours à des acteurs non-professionnels. Les Funérailles des roses marque le début de la carrière d’acteur de Peter, qui joue Eddie. Bien des années plus tard, il interprétera l’un des personnages les plus marquants de Ran, le bouffon.
Le mélange des genres ne s’arrête pas là. Les Funérailles des roses est aussi un film pop, de genre…
Piochant dans son expérience de cinéaste expérimental, Toshio Matsumoto multiplie les audaces graphiques et procédés cinématographiques. Jouant sur des effets de rupture, il projette en accéléré des crêpages de chignon, dont un affrontement entre les travestis et des bad girls payées par un ami de Leda, incorpore des bulles de bande-dessinée dans les images...
Cet éclectisme est à l’image de la forte créativité de l’underground tokyoïte, qu’il montre aussi dans cette œuvre. Il est esthétiquement très beau, à l’instar de la scène d’ouverture où les deux amants font l’amour filmés en surexposition.
Les Funérailles des roses reste très moderne en raison de la foisonnance de son langage cinématographique, même s’il est très marqué par l’époque qu’il évoque. Cette accumulation est à la fois un de ses atouts - le film est toujours fascinant à l’heure actuelle - mais aussi sa limite. A force d’être fragmenté à tout point de vue, il perd en émotion.
L’œuvre de Toshio Matsumoto, qui parmi ses nombreuses facettes est une relecture gay du mythe d’Œdipe, est un film sur la quête de l’identité. Le cinéaste rend hommage à Oedipe roi de Pasolini en faisant prendre la pose à Eddie devant l’affiche du film du cinéaste italien.
Comme le héros de la mythologie grecque, Eddie est à la recherche de son identité et de son destin. D’où la multiplication des masques dans le film. Les hôtesses du club Genet ne sont pas les seules à se travestir, le réalisateur underground, Guevara, s’affuble d’une postiche pour ressembler au Che. Cette question de l’identité se traduit sur le plan de la mise en scène par l’utilisation fréquente de miroirs. Auxquels les protagonistes s’adressent, prenant en exemple la belle-mère de Blanche-Neige, mais aussi via lesquels le cinéaste filme certaines scènes avant de dévoiler la mystification plus tard au spectateur.
Les Funérailles des roses est sorti sur les écrans le 20 février 2019 grâce à Carlotta Films.
Remerciement à Elise Borgobello chez Carlotta Films.





