Les Larmes de Madame Wang
Wen Jing
Wang Guixiang vit à Pekin avec son bon à rien de mari. Alors qu’elle défie quotidiennement les forces de l’ordre en arpentant les trottoirs de la ville avec des films pirates dans son sac et sous son manteau, celui-ci dépense en effet au mah-jong le peu d’argent qu’elle retire de son négoce. C’est au cours d’une telle partie, dépouillé, que le mari dérape ; en guise de monnaie, l’un de ses adversaires propose en effet de coucher avec sa femme. L’homme frappe le malautru au point de lui faire perdre un œil ; rattrapé par la police, il est envoyé en prison. Comme un malheur n’arrive jamais seul, Guixiang se retrouve avec une petite fille sur les bras, ses parents ayant profité d’un service de garde rendu pour se faire la malle et l’abandonner. Notre "héroïne" quitte donc la ville pour s’en retourner dans sa province originelle de Guizhou, où elle travaillait autrefois en tant que membre d’une troupe d’opéra. Sur place, elle renoue contact, et plus car affinités, avec un ami de jeunesse, Youming. C’est en l’entendant livrer une étrange complainte au borgne venu réclamer dédommagement, que Youming , propriétaire d’un magasin de couronnes funéraires, convainc Guixiang d’œuvrer en tant que pleureuse professionnelle...
Six ans après sa diffusion au Festival de Cannes, où son actrice à reçu une mention spéciale de la part du Jury, Les Larmes de Madame Wang connaît enfin une sortie sur les écrans français grâce à Zootrope Films. Coproduit par plusieurs pays étrangers suite au refus du scénario par les autorités chinoises, ce film de Liu Bingjian est un objet étrange de la sixième génération, âpre et généreux, fortement elliptique et irrégulier. Une structure qui reflète certainement des contraintes de tournage plus que de véritables velléités de mise en scène, mais qui n’empêchent jamais le film de cerner son objet et sujet : l’étonnante Madame Wang.
Alors que sa périphérie est traitée avec une certaine distance - la petite fille abandonnée notamment, disparaît étrangement de la narration à de nombreuses reprises - Guixiang porte à elle seule la narration dissolue de Liu Bingjian. Les lieux comme les circonstances, sont induits par son attitude et ses émotions qui, la plupart du temps, s’expriment en creux. Femme façade, Guixiang peut paraître à premier abord, une personne rêche et peu aimable, vivant une fois pleureuse, du malheur des autres. Sa réputation comme ses actes, jouent en défaveur de son humanité puisqu’il apparaît qu’elle vend tout ce qui fait d’elle une femme, son corps comme ses larmes. Pourtant ces larmes qu’elle offre, en chanson, aux êtres venus écouter l’écho de leur perte, sont bien sincères. Et s’il semble que, en tant que professionnelle, Guiwiang n’est qu’une actrice, c’est l’inverse qui la définit. Interprète d’une vie qu’elle ne maîtrise pas, elle n’est sincère qu’au cours de ses prestations, prétextes à l’épanchement de ses véritables émotions.
C’est cette réalité que vise à expliciter Liu Bingjian, comme l’illustre la très belle conclusion du film. Pour tout le reste, le réalisateur n’explicite rien, et sa mise en scène souvent distante - à chaque fois que ses personnages rentrent ou sortent d’un logement, la caméra pivote depuis un point de vue lointain, sans jamais s’aventurer dans le moindre couloir ou cage d’escalier - apparaît comme un style habilement construit autour du manque de moyens et de libertés. Forcément centré sur ses protagonistes, Les Larmes de Madame Wang est ainsi à l’image de son héroïne : austère d’apparence, il recèle une émotion véritable bien que contrainte, forte de l’interprétation excellente de Liao Qin.
Les Larmes de Madame Wang sortira sur les écrans français le 26 mars 2008. Remerciements à Zootrope Films et Candice Kalil.



