Les Loups
Les loups débute, comme souvent les films de yakuzas de Kinji Fukasaku, par la présentation de ses personnages, pourtant fictifs, dans un contexte historique précis. Des coupures de journaux leur donnent un surcroit de réalité. Hideo Gosha a choisi de situer l’action de son film au tout début du règne d’Hirohito, qui marque selon lui un changement d’époque et de valeurs dans lesquelles certains des protagonistes ne se reconnaissent pas. Résumé ainsi, Les Loups aurait pu être tourné par Sam Peckinpah, qui à l’instar du réalisateur japonais a fait ses classes à la télévision avant de passer au grand écran. L’une des premières scènes du film présentant deux japonaises marchant sur une route parallèle à des poteaux électriques semble d’ailleurs sortir tout droit d’un western.
L’accession au trône de l’empereur Hirohito, en 1926, s’accompagne de la grâce de yakuzas de deux clans qui s’étaient affrontés à la suite d’une réconciliation ratée. Tsutomu ne réintègre par le clan car il est amoureux de la fille du chef décédé, qui a été promise au responsable du clan ennemi Kannon afin de sceller définitivement leur réconciliation. Deux des membres du clan Enokiya, Ozeki et Iwahashi, regagnent, eux, ses rangs. Ayant tué l’ancien chef du clan adverse, Iwahashi se trouve dans une situation inconfortable et doute de la sincérité de ses anciens rivaux. L’atmosphère est de plus alourdie par des assassinats et tentatives d’assassinat de yakuzas par deux femmes mystérieuses.
Consubstantiel aux films de yakuza, le conflit entre giri et ninjo, c’est-à-dire entre la loyauté au clan et les sentiments personnels, constitue le principal moteur du film. Il lui donne des airs de tragédie grecque. Malheureusement, l’exposition des conflits et dilemmes auxquels les différents personnages sont confrontés s’éternise.
Personnage central du film, Iwahashi, joué par Tatsuya Nakadai, est délivré de ces considérations lorsqu’il apprend la vérité sur le but des manigances des chefs des deux clans. Leur complot a comme unique objectif la recherche de profits, en dehors de tout autre considération, même l’honneur. Ils souhaitent bénéficier de l’exploitation de la Mandchourie, où l’Empire dispose déjà de privilèges économiques. Les oyabuns ont abandonné leur code d’honneur pour celui du commerce.
En situant l’action de son film à la charnière des ères Taisho et Showa, Hideo Gosha associe l’abandon des idéaux des yakuzas avec le début du règne d’Hirohito. Son hostilité à cette période historique se comprend aisément car il a fini la guerre dans une école pour kamikaze. Je laisse pour ma part les historiens trancher la question de savoir si le règne d’Hirohito marque une rupture ou témoigne d’une accentuation d’une tendance déjà bien présente.
Le film est une splendeur visuelle, avec en particulier un beau travail au niveau du jeu des premier et second plans, et la copie rénovée projetée lui faisait honneur. Hideo Gosha fait preuve d’une belle imagination, comme lorsqu’il annonce un assassinat à venir en cadrant la figure menaçante d’un guerrier en papier lors du Matsuri de la dernière partie du film. Il montre également que l’ombrelle japonaise n’a rien à envier au coup du parapluie hongrois question létalité.
Le climax visuel est atteint lors de l’assassinat dans le cimetière. Les Loups vaut d’être vu ne serait-ce que pour cette scène-là, qui est un grand moment de cinéma. Dans l’ardeur du combat, les kimonos s’ouvrent, les chairs se découvrent, se mêlent dans un ballet mortel. L’imbrication entre Eros et Thanatos aura rarement été aussi brillamment mise en scène.
Contrairement aux règles du genre, le manipulateur en chef n’est pas victime de la vendetta d’Iwahashi. Le réalisateur japonais reste fidèle à l’esprit du début du film, où il l’ancrait dans l’histoire du pays. Ce personnage personnalise la dérive du Japon des années 30 qui aboutira à la catastrophe que l’on connait. Hideo Gosha nous signifie que le train de l’histoire - au propre comme au figuré en l’occurrence - est en marche et que rien ne peut l’arrêter.
Les Loups devrait sortir Blu Ray chez Metropolitan Filmexport fin mai.



