Les malheurs de la jeunesse
Salauds de capitalistes !
D’un point de vue technique, Les malheurs de la jeunesse réalisé en 1934, a pour particularité d’être le premier parlant sonorisé avec un procédé entièrement chinois. Une des caractéristiques du cinéma chinois des années trente est la cohabitation pendant une période plus importante qu’en occident, de films muets et/ou sonorisés et parlants.
Pourtant, avec toutes les lourdeurs que cette technique impliquait, ce film n’est pas aussi statique que l’on pourrait craindre. Et j’en veux pour preuve la belle scène d’ouverture où l’on suit le cheminement d’un journal dans les rues de Shanghai jusqu’aux mains d’un vieux professeur, qui apprend la condamnation à mort d’un de ses anciens élèves. Le film est construit autour d’un flash-back au cours duquel les malheurs de cet élève nous sont contés.
Ce film réalisé par Ying Yunwei narre la dégringolade en bas de l’échelle sociale d’un jeune étudiant idéaliste. Incapable de compromissions face à des patrons (forcément) ignobles, d’un travail d’ingénieur il déchoit à celui de coolie. La difficulté des jeunes diplômés à trouver du travail est un thème récurrent dans le cinéma de l’époque, et pas seulement chinois : crise de 1929 oblige.
Le rôle principal, Tao Jianping est tenu par Yuan Muzhi, auteur également du scénario. Il passera derrière la caméra pour réaliser un des films chinois les plus connus de cette époque, Les anges du boulevard. L’opposition de l’égoïsme des patrons - prêts à tout pour conforter leurs profits ou qui ne veulent pas avancer de l’argent au héros alors que sa femme est très malade - à l’idéalisme de Tao et les conséquences qui en découlent, peuvent nous sembler trop didactiques, trop naïves. A part ce défaut, la progression dramatique du récit permet au film de tenir la distance. Les malheurs de la jeunesse évite cependant les écueils de trop de propagande que l’on peut rencontrer dans certain films de la période, le propos se suffit ici largement à lui même.
Deux images symboliques me restent en particulier de ce long métrage. La première est celle de la gifle. Tao en reçoit une de l’un de ses condisciples qui l’a embauché dans sa société, car il ne veut pas participer à une de ses combines. Gifle qu’il considère être symbolique de l’injustice qui lui est faite. Signe que sa chute n’est pas seulement sociale mais qu’elle est est également humaine, Tao en assènera une à sa femme adorée. Pourtant cette dernière gagne le pain quotidien du couple et est victime des envies libidineuses de son patron... La seconde est celle récurrente à la fin du film, du héros arque bouté sur une draisine chargée de pièces de métal, Sisyphe du monde industriel.
Les malheurs de la jeunesse s’inscrit dans le courant du cinéma engagé et réaliste (le néoréalisme avant l’heure), qui émerge à Shanghai au cours de la grande dépression face au cinéma commercial encouragé par le Kuomintang, mais également au cinéma américain déjà dominateur. A l’époque, il rencontre un vrai succès populaire. Ce n’est donc pas seulement un cinéma de propagande porté à bout de bras par le PC. Certains membres du parti sont toutefois très actifs dans ce milieu et animent des associations de cinéastes. Ce courant devra faire face à l’introduction de la censure par le Kuomintang à partir de 1932, puis à son renforcement au cours des années suivantes, avec notamment une intervention dès le scénario à partir du printemps 1933.
Si ce film comme d’autres présentés dans le cadre de la Chine à Chaillot se veut progressiste, et vise à changer l’ordre existant - voire d’une certaine façon à le renverser, comme cela sera le cas après 1949 - certains traits caractéristiques de la civilisation chinoise ne sont pas remis en cause. La figure du maître (dans ce film celle du directeur de leur école) occupe toujours une place de référence. Dans La Divine, c’est encore le directeur du collège qui s’occupera de l’enfant à la place de la mère.
Diffusé à la Cinémathèque Française (Paris) dans le cadre de la rétrospective "La Chine à Chaillot en 100 films".

