Sancho does Asia, cinémas d'Asie et d'ailleurs
Chine | Festival du film asiatique de Deauville 2003 | Rencontres

Li Yang

"Je voulais montrer la vie des gens de la couche inférieur de la société, du prolétariat chinois."

Une coproduction sino-germanique de 2003 est à l’origine de la première réalisation de fiction de Monsieur Li Yang, habitué par ailleurs des directions de documentaires (Women’s Kingdom en 1991, Happy Swan Song en 1994 et The Wake en 1996).
Outre le fait que Blind Shaft ait été présenté au 53ème festival de Berlin en début d’année, sa véritable entrée dans l’histoire du cinéma mondial vient de se faire la semaine dernière, par la petite porte française du festival du film asiatique de Deauville ! Littéralement, il a fait l’unanimité auprès du jury, du public et des représentants de la presse mondiale (et non pas asiatique...) réunis à cette occasion ! Grand chelem donc pour un film qui ne rencontrera certainement jamais officiellement son public dédié : les chinois. Un grand bravo donc à cet homme très avenant, sympathique, à la somptueuse tignasse de geai, à l’éloquence prolixe, à la reconnaissance émotionnelle digne, pour une réalisation sans faute sur un sujet (l’illégalité et le danger du travail sous terre dans son pays) qui le mine !

ATTENTION, SPOILERS !

Sancho : Bonjour Monsieur. Je tenais tout d’abord à vous dire que j’ai beaucoup apprécié votre film, que ce soit au niveau de la réalisation ou de l’histoire.

Li Yang : Merci Beaucoup ! [en français dans le texte - Rires]

Est-ce que vous pouvez me parler de la façon dont s’est passé le tournage en Chine ? Tout tournage chez vous nécessite de passer par un bureau de la censure, hors le dossier de presse mentionne notamment que ce film ne pourra pas être projeté, et que vous ne pourrez certainement plus réaliser de film sur place.

Ce film n’a rien à voir avec les autres coproductions, comme les autres films chinois qui ont eu, eux, un permis du gouvernement chinois avant de commencer le tournage et donc en fait, ce film peut être considéré comme un véritable film underground. En fait cette histoire est basée sur un roman publié l’année dernière, qui a été primé du reste ("Shenmu" de Liu Qingbang - NDLR), mais c’est ma façon de filmer, ma réalisation, qui est surtout controversée. Je voulais montrer la vie des gens de la couche inférieur de la société, du prolétariat chinois.

Finalement, qui ai-je décidé de montrer dans ce film ? Des prostitués, des meurtriers, des criminels. Et les autorités chinoises n’ont pas du tout envie de montrer cet aspect de leur société. La plupart des films autorisés montrent l’aspect moderne de la Chine, ses grandes constructions, ses dernières réalisations.

Du coup, lors de ses diverses diffusions, à Berlin notamment, comment a été accueilli Blind Shaft ?

Ce film n’a jamais été diffusé en Asie. Sa projection à Berlin a constitué la première mondiale, en fait. Mais en avril il sera projeté à l’occasion du 27ème Festival International du Film de Hong Kong. Beaucoup de spectateurs à Berlin ont déclaré avoir aimé le film. Pour eux c’était l’occasion de voir un autre genre de film chinois, notamment par rapport à ceux des réalisateurs de la 5ème génération comme Zhang Yimou. C’est un nouveau genre pour eux, ma manière de réaliser leur a paru très calme, très objective, très proche de la réalité du quotidien du prolétariat. Je crois qu’ils ont bien compris le film.

Est-ce que vous vous inscrivez dans un mouvement créatif qui comprend notamment Jia Zhang-ke, qui a réalisé un film underground sur l’individualisation croissante que connait actuellement la société chinoise, et qui pousse certains individus à recourir à des méthodes pas spécialement très morales comme les deux personnages principaux de votre film ? On ne peut pas passer en effet à côté de l’avidité de Song Jinming et Tang Chaoyang au début du film !

Non, pour moi ce film n’est pas du même genre que ceux de Jia Zhang-ke, car mon apport personnel est trop important. Mais je dois reconnaître cependant que le point de départ de ces différents films, à savoir l’observation objective de la société moderne en Chine, est effectivement une motivation commune.

Mon style, ma façon d’utiliser la caméra ainsi que ma direction des acteurs sont par contre des stigmates très personnels de mon travail.

Quant à mes deux personnages principaux, ils sont là pour incarner tous ces nouveaux businessmen chinois, sortes de nouveaux riches complètement pervertis par l’argent et dénués du moindre sens moral.

Qu’est-ce que vous a apporté le fait d’avoir travaillé auparavant dans la réalisation de documentaires ? Ca donne beaucoup d’énergie au film...

J’ai utilisé volontairement pour ce film la technique que je me suis construite dans la réalisation de documentaires, notamment pour la lumière et le son.

Je n’ai pas non plus inséré de musique dans mon film et les caméras sont portées uniquement à l’épaule, comme pour un reportage. Ca permet au film d’être très réaliste. Je voulais à tout prix éviter un traitement hollywoodien de l’histoire.

Quels sont les choix d’adaptation que vous avez faits par rapport au livre ?

J’ai fait beaucoup de changements. Je n’ai utilisé en fait que la moitié de l’histoire, et c’est avec la permission de l’écrivain que j’ai opéré des modifications. Par exemple, le passage du Karaoké n’existe pas dans le livre. La fin est différente aussi. Alors que le texte se termine par un suicide suite au retour de la moralité chez un des personnages, moi j’ai préféré finir l’histoire autrement.

Dans le film, la seule limite que se sont fixés les "héros", c’est de ne pas tuer d’enfant. Est-ce que le fait que Song Jinming et Tang Chaoyang tiennent absolument à ce que leur prochaine victime potentielle soit dépucelée existe aussi dans le livre ?

Oui, mais par contre la prostituée y joue un rôle quasi transparent alors que j’ai tenu à élaborer deux vraies scènes avec ce personnage - pour qu’on ait un aperçu de son quotidien à elle aussi, tout d’abord, et pour qu’elle réapparaisse au moment symboliquement fort où le tout jeune homme envoie sa première paye à sa famille.

Vous nous livrez avec ce film une vision vraiment pessimiste du présent en Chine, celle de son avenir est-elle tout aussi noire à vos yeux ?

Non !! Mon film n’est pas pessimiste ! Justement parce que le jeune homme reste vivant ! Il a perdu de son innocence, c’est certain, mais ça ne lui a pas coûté la vie.

De toute façon, la vie est pleine de ce souffle tragique. C’est normal. Et puis le jeune homme est resté humain, lui. C’est plein d’espoir.

La fin s’offre à de multiples possibilités. Le monde adulte est très complexe, et Wang Baoqiang devra l’affronter, prendre son destin en mains. Mais rien n’est écrit, chaque spectateur peut imaginer l’avenir de ce jeune homme comme il le veut !

Interview réalisée à Deauville le 15 mars 2003 par l’équipe de SdA.

- Article paru le vendredi 21 mars 2003

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