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Hors-Asie

Lilya 4-ever

Danemark / Suède | 2002 | Un film de Lukas Moodysson | Avec Oksana Akinshina, Artiom Bogucharskij, Pavel Ponomarev

Nul n’est poète en son pays, dit-on (heu, non, c’est pas ça l’adage) : c’est peut-être pour ça que Lukas Moodysson, 34 ans depuis le 17 janvier, a voulu se lancer, il y a une petite dizaine d’années, dans le cinéma alors que ses vers étaient prisés même chez lui (comme quoi, les proverbes...). Le Suédois a commencé par réaliser des courts-métrages (Une nuit sombre et orageuse / Det var en mörk och stormig natt en 1994, Règlement de compte dans la pègre / En uppgörelse i den undre världen en 1995 et Conversation / Bara prata lite en 1997), puis s’est attaqué, en 1998, à un projet plus ambitieux : raconter l’histoire d’une adolescente découvrant le sentiment amoureux (je vous entends d’ici, ouah, l’autre, fleur bleue, tout ça. J’assume. Mais attendez un peu...) avec Fucking Åmål. Rien que du très banal, même si l’on ajoute que l’histoire d’amour est compliquée par le fait que l’actrice principale est homosexuelle et que l’objet de ses désirs, elle, ne l’est apparemment pas. Mais dès ce premier film, les bases de ce qui semble bien, au vu des deux suivants, être la "patte Moodysson" se sentait déjà : la capacité à raconter une histoire de tous les jours (bon, d’accord, de tous les jours mais pas pour tout le monde) avec des images simples, un jeu simple et des dialogues simples. Pour un peu, on se croirait revenu au temps du minimalisme prôné par certains auteurs de la Nouvelle Vague (plus Rohmer que Truffaut).

Après Fucking Åmål, Moodysson a réalisé Tilsammans (aka Together), qui racontait la vie dans une communauté plus ou moins hippie dans les années 70, et, sans aller jusqu’à la franche rigolade, était tout de même plus léger, mine de rien, que le précédent. Mais les problèmes fondamentaux de la vie y trouvaient leur place (la relation de couple, notamment) pour nous emmener un peu plus loin que la "simple" (Dieu sait qu’il est difficile de faire rire) comédie.

Cette année, Lukas Moodysson fait, une nouvelle fois, preuve de son incroyable capacité à diriger les acteurs (la plupart, dans l’ensemble de sa filmographie, sont amateurs ou peu connus, même en Suède) et réalise un véritable drame. A la différence des deux précédents films, qui se déroulaient exclusivement en Suède, Lilya 4-ever commence en Russie, dans la banlieue paumée et cradingue d’une ville tout aussi perdue. Lilya a 16 ans, elle vit avec sa mère et son beau-père et son existence, à tout prendre, n’est pas plus horrible que celle d’une autre jeune Russe. Enfin, jusqu’à ce que sa mère lui apprenne qu’elle quitte le pays avec son compagnon, en la laissant sur place...

Tirant parfois sur le mélo (ce qui n’est pas nécessairement un défaut, d’ailleurs), Lilya 4-ever est tout à la fois un portrait de personnage et de société, dépeignant la misère sociale qui est le lot quotidien (on revient à la quotidienneté) d’une masse innombrable de Russes, et qui entraîne la glissade vers le pire de l’héroïne ou, plutôt, de la victime principale de cette histoire noire et profonde.

Pour peu qu’on n’ait pas un cœur de pierre, on prend des coups à répétition tout au long du film, dont l’avant-générique laisse déjà présager une issue dramatique. Rammstein à fond sur les images d’une jeune fille apeurée et défigurée qui court, éperdue, sur un pont surplombant une autoroute - on fait mieux pour mettre le spectateur à l’aise. Et si cette première agression est sonore, d’autres viendront, moins douloureuses physiquement mais beaucoup plus impressionnantes sur le fond. On sort de la salle le souffle coupé, avec en tête les images de deux anges, victimes innocentes de l’égoïsme et de la cupidité des adultes.

Car si Moodysson se révèle plus noir qu’il ne l’était dans ses deux premiers longs-métrages, il sait aussi nous rappeler qu’il est poète, et se permet d’insérer, dans le désespoir qui est le nœud, le véritable moteur anthropophage du film, des passages oniriques qui rappellent le Himmel über Berlin de Wenders dans le principe et le Breaking the Waves de Lars von Trier dans le traitement.

En plus de nous livrer une histoire dont on se souvient longtemps, la faculté qu’a le réalisateur suédois de filmer au plus près des personnages, par exemple au travers de mouvements de caméra surprenants (quelques zooms assez saccadés, qui pourraient heurter ou énerver certains spectateurs, mais qu’il m’a plu de retrouver comme une marque de fabrique) rappelle celle d’autres tenants de la mouvance Dogme. Si Moodysson ne le revendique pas, et si le film est à bien des égards très éloignés des principes même du Dogme, l’image rappelle par moments certains des films tournés avec ces contraintes, quoique un peu moins dans Lilya 4-ever que dans les deux longs-métrages précédents du réalisateur (il a ainsi, notamment, abandonné la DV de Fucking Åmål et Tilsammans pour le 35 mm).

Enfin, Lukas Moodysson sait parfaitement s’entourer et la photo est bien souvent très réussie (notamment les passages où Lilya "communique" avec Volodya, vous verrez qui c’est, dans la deuxième partie du film).

Franchement, ce type m’impressionne... arriver à faire un film poignant certes, mais pas larmoyant sur un sujet de société connu de tous mais en fait pas tant que ça, avec des acteurs débutants et que ça ait cette force... chapeau ! J’attends avec impatience sa prochaine œuvre, mais, en attendant, j’irai revoir Lilya sur les écrans français dès ce mercredi, date de la sortie !

L’âme russe vous plaît ? Attendez de voir ce qu’est Un nouveau Russe, le dernier film de Pavel Lounguine (dont je ne vous parlerai que si je l’aime, je ne vais pas m’infliger un pensum non plus, hein !)...

En salles à partir du 16 avril 2003...

- Article paru le mardi 15 avril 2003

signé Lester D. Shapp

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