Loft
« Faudrait des bottes de caoutchouc pour patauger dans la gadoue, la gadoue, la gadoue, la gadoue, hou la gadoue, la gadoue... »
Reiko, jeune écrivaine auréolée par la récente obtention d’un fameux prix littéraire, étouffe dans son petit appartement tokyoïte. Aidée par son éditeur, elle décide donc de s’installer dans une grande maison isolée de tout... de tout ? Pas vraiment, puisque l’annexe d’une université de médecine se trouve à quelques mètres. Une nuit, Reiko découvre un homme transportant ce qui semble être un corps dans l’imposant bâtiment grisâtre...
...Kiyoshi Kurosawa est génial ! Avec une quarantaine de films tournés depuis Rokko [court-métrage en noir et blanc tourné en 8mm alors que Kurosawa n’a que 18 ans] en 1973, cet éclectique trublion est parvenu à devenir l’un des rares réalisateurs nippons à être reconnu dans le monde entier, tant sur le plan critique que public. Alors évidemment, après avoir sévi dans le V-Cinema, l’expérimental, le téléfilm, l’OFNI inclassable, le polar culte, ou encore le Pinku, Kurosawa continu son exploration du Genre Fantastique avec Loft, un bien étrange exercice de style...
Pendant près de deux heures, Kurosawa va minutieusement s’évertuer, non sans talent, à détruire le Genre qui l’a fait connaître du public occidental. Loft est un château de cartes ; un château de cartes qui va lentement, et de manière subtile, amener le spectateur dans un état d’anxiété pour s’écrouler brillamment... à plusieurs reprises, preuve de la maîtrise incontestée et incontestable du metteur en scène ! Se jouer des conventions ; tout est là. Avec ses cadres travaillés au millimètre, imposant au spectateur ses visions effrayantes qu’elles soient réelles ou fantasmées, il va rapidement bâtir une atmosphère lourde et oppressante autour de ses personnages. La bande sonore joue ici un rôle déterminant dans cette pesante descente vers l’inconnu et l’étrange ; Kurosawa s’amuse à glacer le sang, en mélangeant au violent souffle du vent s’engouffrant dans les arbres et les aspérités des bâtiments, de véritables cris humains. Sans parler de l’architecture, qui décidément semble jouer un rôle primordial dans sa filmographie... A l’instar de l’excellent Doppelgänger, qui n’hésitait pas à passer du thriller horrifique à la farce vaudevillesque, Loft va bien plus loin...
...à aucun moment Kiyoshi Kurosawa ne laisse entrevoir son plan, puis soudain, transforme prodigieusement Loft dans un volte-face inouï ! Trop tard, le spectateur n’a rien vu venir, et Kurosawa repousse les limites de son cinéma ; Loft devient une farce sentimentalo-burlesque où "cliché" devient le maître mot, se moquant ouvertement de toute cohérence scénaristique avec pertes et fracas, avant de redevenir pour quelques instants un véritable thriller, puis replonger à nouveau dans les délires grandiloquents de son auteur. Ici, Kurosawa n’est plus directeur d’acteur, mais marionnettiste ; et quelles marionnettes ! Miki Nakatani, plus belle que jamais, et l’excellent Etsushi Toyokawa, se prêtent tous deux à merveille au jeu pernicieux du réalisateur, qui semble tirer un malin plaisir à jouer avec la psychologie (perturbée ?) de ses personnages...
Véritable esthète de l’absurde, la précision dont fait preuve Kiyoshi Kurosawa n’a d’égal que ses envies de malmener les règles d’un Genre, et Loft lui permet d’expérimenter le degré de tolérance du spectateur, alors que la cohérence de son œuvre devient de plus en plus claire... Kurosawa est génial !
Loft fut présenté dans la section Panorama du 8ème Festival du Film Asiatique de Deauville.




