L’Ombre du feu
Une jeune femme dans un bar délabré, qui jamais ne sort, vend son corps pour survivre, l’échange à son souteneur contre une bouteille d’alcool à proposer à des clients de passage. Un enfant seul, voleur et néanmoins généreux, fait irruption dans son quotidien, fournit les légumes nécessaires à la préparation d’un repas partagé ; ainsi qu’un soldat désoeuvré, qui promet chaque jour en vain de trouver le lendemain un boulot pour payer son lit de la veille. Deux solitudes qui s’imposent auprès d’une troisième, pour reconstituer une cellule familiale détruite par la guerre. Sauf que, chez Tsukamoto, la vie ne s’embarrasse que momentanément du bonheur. Une arme, la folie post-traumatique, la maladie... L’ombre de la guerre, de la violence et de la mort plane sur l’enfant qui impose son regard à ce merveilleux long-métrage.
C’est l’enfermement qui surprend le plus, au début de L’Ombre du feu. Cinéaste de la pression de l’extérieur sur l’intérieur, Tsukamoto impose à son héroïne une claustration d’autant plus totale, qu’elle empêche même le petit garçon d’accéder à la seconde pièce de sa demeure. L’extérieur, c’est l’endroit où le garçon vole, où le soldat attend sans rien faire, où les coups de feu retentissent encore régulièrement – autant de réalités qui échappent à notre regard. Le dehors entre à peine par la fenêtre ou la porte entrouverte, si ce n’est charrié par les quelques visiteurs de ce bar aux murs tâchés par l’humidité, comme quelque chose dont il faudrait se défaire à l’entrée. Ou comme si, finalement, cette prostituée peu avenante était condamnée à l’intériorité, yûrei enracinée dans le vestige de sa vie familiale d’avant-guerre.
L’extérieur, il est dans la terreur du soldat, chaque fois qu’il entend une détonation. Il se trouve dans le vaste regard du garçon, et surtout dans sa besace, sous la forme d’un pistolet qu’il a trouvé et conserve précieusement. Comme la possibilité d’une guerre, qui couve encore dans la jeunesse qui en fait l’héritage. Comme l’écho d’une violence qui ne demande qu’à trouver paroi où se réverbérer, encore et encore. Comme une menace sur la famille et les individualités qui la composent.
Ce qui est terrible dans L’Ombre du feu, c’est la façon dont l’enfance incarne l’avenir, par le biais d’une médiation entre les protagonistes adultes et leurs dettes respectives à solder, avec la guerre, avec la vie. Jamais Tsukamoto ne s’est fait si minimaliste, réduisant son cinéma à sa plus simple expression, puisant dans le numérique des textures incroyables, n’ouvrant son champ visuel que pour y refermer celui de ses survivants d’une époque en liquidation. Sa restreinte admirable étouffe, son regard à hauteur d’enfant surprend, cependant l’auteur-réalisateur ne délaisse pas pour autant son aptitude à percevoir l’épouvante dans les prisons du quotidiens, et le cinéma fantastique rode autour de cette effrayante réalité – comme pour la rendre plus facile à assimiler.
Pas de brume de chaleur ici pour incarner le basculement inhérent à sa vision du monde, pas de soubresauts de l’image, mais au contraire la stabilité imperturbable, du regard et de la volonté, d’un enfant qui s’impose sans un mot...
La vie, en dépit de la violence et de la mort, qui vous regarde droit dans les yeux, affirme sa résilience absolue.
Comme une évidence.
Ça calme.
L’Ombre du feu sort sur les écrans français le mercredi 1er mai.
Remerciements à Carlotta Films.




