Lorelei
La seconde guerre mondiale faiblissait...
... où plutôt, à ce stade de l’Histoire, étaient-ce les hommes qui baissaient les bras. Le 6 août 1945, un B-29 américain lâche la première bombe atomique sur la ville d’Hiroshima. Face à cette nouvelle menace, les autorités militaires japonaises sous les traits de Ryokitsu Asakura (Shin’ichi Tsutsumi) confient une mission de la plus haute importance au « Capitaine Froussard », Shinichi Masami (Kôji Yakusho). A terre depuis plus de trois ans à cause de cette réputation, héritée de son refus d’appliquer les « suicide tactics » des kamikaze, Masami se voit confier le commandement d’un sous-marin ramené d’Allemagne par une équipe de scientifiques, le I-507. Sa mission ? Trouver le vaisseau qui achemine la seconde bombe atomique et l’empêcher de mener sa tâche à bien. Mais Asakura refuse toutefois que le I-507 soit détecté ou use de force envers l’adversaire américain, plus que nécessaire... Comment faire, pour rester à ce point furtif, alors que les eaux grouillent de navires américains ? Masami ne tarde pas à découvrir la présence à bord de son sous-marin, d’une arme secrète d’origine nazie appelée Lorelei, un petit submersible qui doit servir d’yeux au I-507. Le jeune Yukito Orisaka, kamikaze perdu aux côtés de ce capitaine qui refuse de lui laisser remplir sa fonction, est chargé de piloter le Lorelei. Quelle n’est pas sa surprise, lorsqu’il découvre à l’intérieur, une adolescente d’origine japonaise, qui semble être le cœur de ce redoutable radar permettant de détecter avec précision n’importe quel objet dans un portée de 120 miles... En dépit de l’enthousiasme procuré par la découverte de ce fantastique atout, quelque chose se trame pourtant au sein de l’équipage. Qui est réellement Takasu, l’homme qui a accompagné le Lorelei ? Quel est le véritable objectif d’Asakura, qui semble n’obéir qu’à sa propre volonté, à l’encontre des autorités militaires en place ? Et surtout, quel est le rôle de la jeune Paula Atsuko Ebner, qui s’évanouit au terme de chaque affrontement qu’elle aide l’I-507 à remporter, depuis son harnais qui l’intègre au Lorelei ?
L’un des grands succès de l’année 2005 au Japon, Lorelei fait partie d’une trilogie d’adaptations de romans de l’écrivain Harutoshi Fukui, aux côtés de Sengoku Jieitai 1549 (remake de Sengoku Jieitai - GI Samurai - premier du nom) et Aegis. Les trois opus ont pour sujet la guerre sur fond de science-fiction, les histoires qui y sont développées étant autant de réalités alternatives, pour ne pas dire parfaitement fantaisistes. Ainsi dans Lorelei, le submersible éponyme qui puise son énergie d’une adolescente, et nourrit un système de radar révolutionnaire en trois dimensions, improbable autant qu’intéressant... Une arme qui devrait en théorie, être capable de faire basculer la Seconde Guerre Mondiale, en faveur de son détenteur. Mais pourra-t-elle empêcher le lancement d’une deuxième, mais surtout d’une troisième bombe atomique, visant à rayer Tokyo de la carte ?
Car l’histoire de Lorelei ne tourne pas réellement autour de l’arme secrète, mais autour des conditions fantasmées de la fin de la guerre au Japon - et de la fin de toute guerre, du côté des perdants. Kôji Yakusho incarne Masami, un Commandant en charge d’une équipe iconoclaste de rebuts de l’armée, qui tient le rôle à la fois de figure patriotique et d’humaniste sans frontières. Masami/Yakusho, plus que le Lorelei ou que Paula, est le véritable atout du premier film de Shinji Higuchi, responsable des effets spéciaux des trois Gamera de Shûsuke Kaneko. Il lui permet en effet de marcher sur une ligne délicate, entre le patriotisme tendance nationaliste et la reconnaissance d’une certaine responsabilité, au travers du devoir de reconstruction, d’un pays et d’une image, qui échoit aux survivants de la guerre. Il n’est jamais au travers de Masami, question de défaite dans Lorelei mais seulement de mort ou de survie. Et ce sont bien là les deux seules distinctions humaines valables, en temps de guerre ; quitte à sombrer dans la caricature.
Il est indéniable je vous l’accorde, que Lorelei est caricatural, limite mélodramatique dans son traitement des dilemmes, de pouvoir et d’émotions, qui limitent et conditionnent les actes de bravoure de l’équipage du I-507. Mais les discours de Masami parviennent à conférer une unité à l’ensemble, à l’empêcher de tourner au ridicule. Kôji Yakusho donne réellement une consistance au dilemme de la reddition japonaise, entre l’honneur et l’humiliation, et noue entre eux les différents épisodes du film, au rythme de ses propres prises de conscience et décisions.
Lorelei possède en effet une structure très chapitrée, limite épisodique. Un héritage qui est à la fois celui de l’écriture, matériau de base, et de l’influence qu’exerce l’animation dans toutes les facettes du projet. Car au-delà même de la présence au générique de Mamoru Oshii (Mecha-designer), d’Hideaki Anno (l’homme derrière Evangelion, aux storyboards) et autres Yutaka Izubuchi (Mecha-designer sur Patlabor, responsable des costumes), Lorelei est un film d’animation porté sur pellicule, et ce dans le rythme, dans le style, mais surtout dans l’esprit et le message qu’incarne cette mystérieuse « sorcière de l’Océan Pacifique ». La construction du film est notamment très "oshiienne", avec une histoire et un sujet qui diffèrent, mais se servent mutuellement.
Paula Atsuko Ebner est en effet au film de Higuchi, ce que Rei Ayanami est au chef-d’oeuvre d’Anno, Neon Genesis Evangelion : son âme à défaut d’être son protagoniste principal, son sujet à défaut d’être son histoire. Dans sa relation à la machine qu’elle est seule à manipuler, on retrouve cette souffrance qui est celle de Rei à chaque fois qu’elle monte dans son EVA, de même que son empathie est proche de celle qui isole Rei à l’intérieur d’elle-même. D’un point de vue visuel même, les apparitions de Paula en dehors de sa tenue « de combat », toute de blanc vêtue, renvoient à l’image d’une Rei constamment blessée et bandée - le trait le plus fétichiste d’Evangelion. Enfin, le sujet véritable du film est le même que celui de la série. Dissimulé dans un affrontement à grande échelle, simpliste et évident au terme d’interminables discussions et disgressions narratives, il est celui de notre avenir, incarné par nos enfants - et donc de leur survie, indispensable. Les enfants ne doivent pas tant gagner une guerre qu’y survivre, tout simplement. Cette enfance/adolescence maîtresse du destin, qui est au cœur de tant de projets d’animation, confrontée à une école plus « old-school » : la rebellion incarnée, pour le bien de l’humanité, par Masami, véritable Harlock (Albator) de Lorelei, le I-507 étant évidemment son Arcadia.
Sans être une réussite parfaite - le film est un peu long et un bavard -, Lorelei est donc un film unique, produit esthétique et idéologique issu de la culture anime, plus qu’un héritier nippon du chef-d’œuvre aquatique de Petersen, Das Boot. Il s’agit au final d’un véritable spectacle (les scènes d’action et notamment le "suicide run" du I-507, sont très bien menées), honnête, habile sur le plan diplomatique, et bien que très largement fantaisiste, tout autant attachant. Et sa sorcière est un personnage troublant, son visage superbe autant que son chant à même de rester dans les mémoires de ceux qui sauront céder au charme surrané, au style épuré et à la naïveté apparente de Lorelei.
Lorelei est disponible en DVD au Japon, dans une édition simple et une autre, collector, comportant trois DVD ainsi que le film - et quelques suppléments - en UMD, un livre avec le storyboard et le scénario, etc... Dans les deux cas, le pressage est magnifique et le son superbe. Normal, puisque les galettes sont certifiées THX ! Enfin, le film est sous-titré en anglais, ce qui ne gâche rien.






