Love Letter
Love Letter s’ouvre sur le second "anniversaire" de la mort de Fujii Itsuki, jeune homme décédé au cours d’un accident en montagne. Watanabe Hiroko, sa fiancée, y assiste le cœur lourd : il paraît clair que la blessure provoquée par cette perte est encore loin de s’être refermée. Alors qu’elle raccompagne sa belle-mère chez elle, cette dernière lui propose de feuilleter un yearbook datant des années de lycée de Itsuki, tout en lui expliquant que la maison où ils habitaient à l’époque a aujourd’hui été rasée pour laisser la place à une autoroute. Hiroko relève dans l’annuaire des élèves l’adresse de cette maison supposée disparue, et y envoie une lettre destinée au défunt, dans l’espoir naïf de recevoir de ses nouvelles.
Contre toute attente, Hiroko reçoit une réponse, mais celle-ci ne vient pas du paradis : en réalité, il se trouve qu’une jeune fille portant elle aussi le nom de Fujii Itsuki habite à cette adresse, finalement toujours valide. En dépit des protestations de Akiba, ami proche de Itsuki aujourd’hui petit ami implicite de Hiroko, les deux jeunes femmes vont entamer une correspondance pour partager leurs souvenirs du disparu, car les deux Fujii Itsuki ont passé trois années dans la même classe au lycée.
Ainsi commencent un processus de libération pour Hiroko, et une analyse inattendue de ses années de jeunesse pour Itsuki...
Love Letter s’ouvre sur une image de Miho Nakayama allongée dans la neige. Elle ne semble pas avoir froid, bien au contraire, et le spectateur lui-même se sent d’emblée envahi par une sensation de réconfort et de familiarité, la magnifique partition de Remedios aidant. Cette sensation ne nous quittera plus de toute la durée du film, tant la narration de Shunji Iwai, réalisateur de l’immense Swallowtail Buterfly (1996), semble naturelle, en harmonie parfaite avec chacune des images, avec les personnages, avec le doux souvenir de l’innocence de l’adolescence. Pour un peu, on aurait presque l’impression d’être installé au coin du feu avec un chocolat chaud, un pull de laine incroyablement lourd et apaisant sur le dos, à partager le souvenir de moments à première vue insignifiants avec quelques êtres proches...
Une des originalités du film, qui se rapproche du coup de La double vie de Véronique (Krzysztof Kieslowski - 1991), est de faire jouer les deux rôles principaux du film, Itsuki et Hiroko, par Miho Nakayama. Cette dernière, incroyablement belle et subtile, parvient à interpréter deux personnages différents mais complémentaires. L’une timide, meurtrie et enfermée dans ses souvenirs ; l’autre ingénue, nature et, quelque part beaucoup plus mature bien que fort naïve par rapport aux choses de la vie.
L’autre originalité réside bien sûr dans la réalisation toujours protéiforme de Shunji Iwai. Suivant le rythme des scènes, leur intensité et leur valeur narrative, il mélange avec brio une caméra à l’épaule nerveuse, quasi-vivante, des mouvements techniques, des plans fixes, des effets complexes mais jamais tape-à-l’œil - le tout sans jamais perturber le rythme presque hypnotique d’une narration langoureuse.
Ce qui rend Love Letter si remarquable, en dehors d’un réalisation parfaite et de la qualité générale de l’interprétation, c’est la justesse des sentiments présentés. Les années de jeunesse, nostalgiques mais jamais regrettées, sont dépeintes avec un recul empreint de sympathie et de complicité. Le jeune homme, liant des deux héroïnes, n’est montré qu’au travers des yeux de Itsuki : Hiroko ne partage jamais ses souvenirs, si bien qu’on en vient à se demander si, finalement, la jeune femme n’est pas en train de vivre une libération au travers d’un dialogue imaginaire avec cette partie d’elle-même qui ne peut oublier Itsuki, mais dont elle a besoin de se dissocier pour avancer dans la vie.
Quelque part, grâce à cet artifice de deux interprétations jumelles, le film garde une ambiguïté exceptionnelle qui le rend profondément humain et compréhensif. On y retrouve un peu le sentiment que procure la lecture de certains romans de Haruki Murakami, La ballade de l’impossible en particulier, avec cette approche indiciblement fantastique de la complexité de la mémoire humaine, surtout lorsqu’elle touche à un amour perdu.
Si le double personnage Hiroko/Itsuki occupe la majorité du récit, aucun des personnages n’est pour autant délaissé. Tous sont dépeints avec le même amour de la vie, avec la même force tranquille. Le personnage le plus impressionnant en ce sens est bien celui du grand-père de Itsuki/femme, interprété par Katsuyuki Shinohara. La séquence de la maladie de sa petite-fille, où il est prêt à perdre la vie pour l’amener à l’hôpital sur son dos sous une tempête de neige, possède à la fois un suspense insoutenable et une assurance réconfortante, grâce au traitement serein de la situation, aussi bien par le personnage que par le réalisateur. Le grand-père s’y exprime presque en chuchotant, et quand sa fille lui dit qu’il ne pourra jamais marcher sous la tempête, il lui répond simplement : "Je ne marcherais pas. Je courrais."
A l’image de cette volonté, Shunji Iwai a su construire une fable universelle remarquable qui trouve un écho en chacun d’entre nous, sans en faire trop, tout simplement parce qu’il sait ce qui est nécessaire pour toucher les gens : un peu de réconfort, un peu de sympathie, mais surtout un respect infini pour la complexité de l’être humain. Son dernier cadeau, dans Love Letter, aura été de nous faire partager celui fait par les lycéennes à Itsuki. Symbolique, ce présent s’adresse à chacun d’entre nous, car il nous amène à mettre le doigt sur de tels trésors, que nous avons tous enfouis, quelque part, dans nos souvenirs d’enfance.
Iwai ne libère donc pas que Hiroko au travers de son échange inhabituel avec Itsuki : il nous offre un moment d’intimité face à nous-même, une occasion d’être en paix, avec un sourire complice et approbateur. Une fois le film terminé, il ne reste plus qu’une chose à répondre à la question "Comment vas-tu ?" doublement posée par les héroïnes : "Moi, je vais très bien".
On peut aussi rajouter : "Merci, monsieur Iwai".
Love Letter est disponible en DVD au Japon dans une édition magnifique : la qualité technique incroyable est à la hauteur du film présenté - l’image est sublime (franchement, je crois que je n’avais encore jamais vu ça), aucun défaut de compression, aucune tâche de pellicule, la stéréo est limpide, le sous-titrage anglais précis.
Au niveau suppléments, c’est aussi le bonheur, puisque l’intégralité du storyboard du film est présenté monté, aux côtés des trailers et des filmographies de rigueur. Indispensable !

