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Japon

Love Song for a Rapper

aka Love Song for Raper - Rappaa Bojou | Japon | 2003 | Un film de Sho Fujiwara | Avec Yoshimi Kawasumi, Takuo Shibuya, Shiho Utaka, Naoki Kawasumi, Hiromi Miyagawa , Ebinuma Lee

Non, il ne s’agit pas d’une erreur, le rapper en question n’est pas un violeur dans un anglais approximatif (le titre exact en anglais dans le texte est Love Song for Raper) mais bel et bien un rappeur. Mais de rap, il n’en est que très peu question dans cette Love Song. Film japonais indépendant, voire carrément underground, tourné avec très peu de moyen mais des idées et un scénario ma foi pas mauvais du tout, Love Song for a Rapper pourrait bien faire figure de Gunmo japonais s’il n’était pas parcouru de quelques excès gores.

Ken et Ma-kun sont deux frères. Ma-kun, l’aîné des deux, rêve de devenir champion de base-ball mais son goût immodéré pour les chips et le coca ne l’aide pas vraiment dans sa tâche. Son frère, Ken, plus renfermé, se voit grand dessinateur de manga. Les deux frères vivent avec leur mère qui se laisse vivre (ou mourir) depuis le suicide de son mari et le départ du fils prodige (l’aîné de la famille), Toshio, qui travaille sur un « grand » projet et avait touché l’ambition de devenir rappeur. Tout va de mal en pire jusqu’au jour où Ma-kun est victime d’une terrible vengeance. Les choses deviennent alors encore pires.

Love Song for a Rapper n’est pas franchement le genre de film que je conseillerai à n’importe qui, même si d’un autre côté je l’apprécie beaucoup. C’est un film noir, cynique et désespéré qui par son côté très réaliste et sauvage fait parfois froid dans le dos. Le Japon présenté dans ce film est celui des perdants, économiquement, sexuellement et accessoirement sportivement. Tous les personnages sont dans la détresse économique (la mère vole le Coca pour son fils, aucun personnage ne travaille) et sexuelle (Ma-kun est puceau, Ken gâche sa relation avec une fille à trop vouloir une relation anale, et ne parlons pas des autres). Le malheur apportant le malheur, ce microcosme s’entoure de personnages (il y a le locataire psychopathe qui refuse de payer le loyer, le sans-abri qui prodigue ses conseils contre 100 yens, l’animateur raté de soirées à la ramasse) qui n’ont rien à leur envier en terme de poisse (et parfois de pure méchanceté) et qui font que tous s’enlisent dans le désespoir, en dépit des sincères efforts pour s’en sortir de ceux qui n’ont pas abandonné tout espoir (on n’est pas loin de l’entrée du Purgatoire). Cet aspect poisseux voire crasseux est parfaitement rendu par une image qui l’est tout autant.

Tout ce beau monde vit à l’ombre d’une énorme tour de cheminée, totem dépressif et écrasant de cette petite ville de banlieue qui survit plus qu’elle ne vit. La rareté des ressources (ici l’espoir autant que l’argent et le sexe) fait que tous se battent pour la même chose, notamment arriver à concrétiser leurs rêves. Une atmosphère qui, ajoutée à l’embonpoint de Ma-kun, évoque parfois Serial Rapist de Wakamatsu. Ce ramassis d’âmes perdues et pathétiques finit bien sûr par s’affronter, avant de s’entre-tuer pour de bon.

En filigrane de cette réalité sociale, Love Song for a Rapper prend des allures de comédie noire et cynique. Ainsi lorsque Ken enseigne à Ma-kun devenu aveugle à faire des home-run dans des scènes (les plus belles du film à mon avis) qui font écho aux séquences d’entraînement dans les films de kung-fu, c’est d’un tel pathétisme cruel dont il est question que l’on ne peut qu’éclater d’un virulent rire jaune (essayez pour voir, ce n’est pas facile).

Le final, paroxysmique, très déroutant et gore, est certainement la seule issue possible tant pour le film lui-même que pour les personnages. Autodérision, excès irréalistes - Bad Taste de Peter Jackson pour référence - et choquants donnent au film une teneur onirique (et viscérale !), quelque part entre le cauchemar et l’enfer.

Le choix d’acteurs non professionnels ou débutants (on notera au passage la présence du réalisateur Noboru Iguchi), le superbe travail de montage/édition (le film est entièrement tourné à la Betacam et en cinémascope), font de Love Song for a Rapper un film comme on a rarement l’occasion d’en voir, et qui rebutera certainement nombre de spectateurs. Autant drôle que glaçant et provocateur, il n’est pas sans évoquer la radicalité d’un Visitor Q (notamment par son exploitation atypique du thème de la famille). Avec ses airs de documentaire, Love Song for a Rapper est une sorte de film de famille complètement trash et brut de décoffrage, le témoignage sans fard de vies détruites, d’un monde en déliquescence. Il attaque aux viscères plutôt qu’à l’intellect mais fait passer son message : le Japon ce n’est pas (seulement) le pays mignon de Pikachu et ses amis.

Love Song for a Rapper est disponible en DVD au Japon, sous-titré en anglais, chez Uplink.

- Article paru le mardi 8 mars 2005

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