Sancho does Asia, cinémas d'Asie et d'ailleurs
Hong Kong | Festival du film asiatique de Deauville 2005

Made in Hong Kong

aka Xianggang zhizao | Hong Kong | 1997 | Un film de Fruit Chan | Avec Sam Lee Chan-Sam, Neiky Yim Hui-Chi, Wenbers Lee Tung-Chuen, Amy Tam Ka-Chuen, Carol Lam Kit-Fong, Doris Chow Yan-Wah, Chan Tat-Yee, Wu Wai-Cheung, Siu Chung, Chan Sung, Eric Lau, Kelvin Chung

Made in Hong Kong porte assurément bien son titre. Si l’ancienne colonie britannique est bel et bien au cœur du film, cette appellation "étiquette" prend un double sens révélateur. L’œuvre de Fruit Chan, dans sa forme comme dans son contenu est indéniablement "de" Hong Kong, mais la banalité crue du titre est aussi l’affirmation forte d’une identité, ébranlée à la veille d’une rétrocession inquiétante à la Chine populaire. En ce sens, Made in Hong Kong est un film revendicatif, qui cristallise la vie à Hong Kong et amplifie, de manière souvent métaphorique, la peur d’un futur très incertain.

Mi-Août, petit voyou à la solde d’un parrain local et Jacky, son protégé attardé mental, tentent de survivre, de combines en combats de rue, dans un environnement hostile. Livrés à eux-mêmes, entre insouciance de jeunesse et responsabilités forcées, ils vivent sans passion, jusqu’au jour où deux évènements simultanés vont changer leur existence : le suicide d’une jeune inconnue et la rencontre de Ah Ping, atteinte d’une maladie incurable...

A la fois toile de fond, personnage et idée, Hong Kong est le thème du film, le réalisateur ayant d’ailleurs admis que celui-ci était le premier volet d’une trilogie consacrée à la rétrocession. On peut d’ailleurs voir dans l’histoire de nos héros la mise en image pessimiste d’un (mauvais) pressentiment, partagé par l’ensemble de la colonie à la veille de la passation de pouvoir. Filmée de manière subjective par une caméra à hauteur d’homme ou, au contraire, en plongée du haut des buildings, la ville est omniprésente, étouffante autour des protagonistes, à la limite de la prison. Colorée de tons agressifs (rouges pour la plupart), fourmillante d’êtres humains (de nombreux plans montrent Mi-Août et ses amis perdus dans la masse), elle est telle une jungle. Pleine d’énergie et de vie propre (le montage cut, presque clippé augmente cette impression), brassant mille identités sans en revendiquer aucune, elle constitue un milieu difficile, dans lequel toute affirmation de soi semble devoir passer par la violence, très réaliste et parfois choquante dans le film. Comme tout environnement naturel hostile, elle influence les conditions de vie de ceux qui la peuple : ces hommes là aussi sont "made in Hong Kong", purs produits de cette ville bigarrée, au carrefour de l’orient et de l’occident, de la modernité et de la tradition. Dans cette optique, Made in Hong Kong est indéniablement un constat d’échec de toute une génération, en manque de repères et de spiritualité, destinée à sombrer avec le retour aux sources suivant la reprise par la Chine.

Le spectre de cette rétrocession plane sur le film tel le fantôme de cette jeune fille qui préfère se suicider plutôt que d’affronter une existence qu’elle juge insupportable et inutile. Fruit Chan construit son film autour de ce seul acte de mort, et les conséquences qu’il va avoir sur Mi-Août. Dans la scène, parsemée tout au long du film, Hong Kong s’efface (on est au dessus des maisons, avec le ciel en toile de fond), les couleurs se voilent et s’apaisent (un filtre bleu pâle, irréel, est appliqué sur l’image), le rythme se pose (la caméra se fixe et la solitude de la jeune fille contraste avec l’agitation qu’on imagine en contrebas). Les éléments de la spiritualité resurgissent : l’orgue se met à jouer (et contraste avec la musique rock), la croix chrétienne est posée sur un toit. La jeune fille a atteint son but, trouve le réconfort, le film faisant preuve d’une tristesse et d’une compassion un peu malsaine mais obsédante à son égard. Elle devient un ange, et guidera, à travers ses lettres d’adieux (véritable testament au sens biblique du terme) le jeune Mi-Août, lui en apprenant plus sur sa propre existence qu’il ne l’aurait pu lui-même. L’espèce de transe à travers laquelle sont filmées certaines scènes du film ont une connotation très mystique, spirituelle, de même que les visions qui s’emparent du héros. Même s’il sera toujours hanté par la mort, omniprésente dans le film (à travers les scènes à l’hôpital ou au cimetière), il n’en trouvera pas moins l’amour et une occasion de renforcer son amitié avec Jacky. Pendant un bref instant, il profite du présent, donne un sens à une vie qui n’en avait pas. Cependant, pessimiste avec cette génération qu’il décrit (au contraire des écoliers vêtus de blanc, hypocrites et ultra-violents, pour lesquels il semble, cynique, ne se faire aucun souci), Fruit Chan maudit cet amour (Ah Ping est mourante) et refuse à Mi-Août le pouvoir de venir en aide aux personnes à qui il tient. Se faisant, il le pousse à transmettre le flambeau, laissant derrière lui le "testament", annoté de sa propre expérience. La boucle est bouclée, la vie, oublieuse, continue...

A travers ce film et ce cercle (très) vicieux, Fruit Chan réussit un petit bijou d’émotion, d’humour, de poésie et de style. Très intelligemment, il met en scène les peurs de ses concitoyens qui, ne s’y trompant pas, ont fait un accueil triomphal à son œuvre, pourtant à tout petit budget. Plus encore, il semblait à l’époque remettre en question l’avenir et l’indépendance du cinéma local, menacé par la censure de Pékin. Qu’on se rassure, ici, il n’en est rien...

Récemment édité en zone 2 dans la collection MK2 Découvertes Asie, Made in Hong Kong bénéficie d’un transfert anamorphique au format respecté (1.85).
Le master n’est pas toujours très propre et la qualité est parfois un peu juste (fourmillement des arrière-plans), mais quand on connaît l’histoire de ce film (réalisé avec 3 euros en utilisant des chutes de pellicules), on est sans aucun doute en présence de la meilleure image disponible.
La VO est en mono d’origine (avec des sous-titres français), une bande annonce et une préface de Thierry Jousse complète ce pressage. Une édition light, donc, mais on ne peut que féliciter MK2 de sortir un tel film en DVD...

Un grand merci à Jean-Baptiste Péan des Editions MK2 pour le DVD de Made in Hong Kong.

- Article paru le mardi 22 octobre 2002

signé David Decloux

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