Manille
Julio a quitté son village de pêcheurs pour Manille, sa fiancée, Ligaya, ne donnant plus signe de vie après s’être rendue à la capitale. Une dame était venue l’appâter en lui promettant du travail et la possibilité de poursuivre ses études. Julio découvre la maison où il pense que sa bien aimée est séquestrée et la surveille aussi souvent que possible en espérant qu’elle sortira. Il doit aussi trouver de quoi subsister, l’argent qu’il avait apporté avec lui ayant rapidement été dépensé. Julio rejoint la cohorte des pauvres de cette ville, qui ont du mal à trouver du travail. Il est embauché dans un chantier de construction où son salaire est encore plus faible que dans le précédent.
Manille est un beau film engagé réalisé par Lino Brocka qui était non seulement un cinéaste militant, mais aussi un activiste qui participa aux mouvements de lutte contre le dictateur Ferdinand Marcos.
Sa critique du pouvoir en place prend ici la forme de figures d’autorité abusant toutes de leur pouvoir. Il en est ainsi des contremaîtres qui ponctionnent les salaires des employés sous leur responsabilité et travaillent main dans la main avec les forces de l’ordre. Les nervis à leur solde n’hésitent pas à faire usage de la violence pour faire rentrer dans le rang les récalcitrants, si la crainte de perdre leur emploi n’avait pas déjà été suffisante. La violence physique rejoint la violence économique.
Le caractère engagé du film prend aussi un aspect plus positif : le réalisateur met fortement l’accent sur la solidarité existante entre Julio et les autres laissés pour compte qu’il croise.
Mais jamais le caractère engagé ne prend pas le pas sur la dimension humaine de Manille. Naïf débarqué de son île, julio découvre peu à peu – et les spectateurs à sa suite – les chausse trappes qui attendent les plus démunis dans la capitale des Philippines. Pour autant, si Lino Brocka montre les conditions de vie difficiles de ces provinciaux montés à la ville, il ne fait pas preuve de misérabilisme. Le calvaire qu’a connu Ligaya, nous le connaîtrons ainsi seulement via la description qu’elle en fera à Julio lors de leurs retrouvailles. Seule une scène violente est montrée par Lino Brocka, celle qui clôt le film et pour une bonne raison...
Au-delà de la critique sociale, le réalisateur et son directeur de la photo, Mike De Leon, ont créé une œuvre plastiquement réussie. Ils mêlent scènes filmées sur le vif dans la rue, comme celle ouvrant le film montrant l’éveil de la capitale peu à peu envahie par les bruits et ses habitants, et des effets plus kitsch, comme certains flash-backs des jours bénis où Julio vivait avec sa dulcinée sur leur île.
Film brut de décoffrage sous certains aspects, Manille est d’ailleurs un film « physique » où la dureté des conditions de travail de Julio et ses collègues est ressentie par les spectateurs. Le réalisateur accentue plusieurs fois les bruits de la ville pour montrer le caractère aliénant de cette vie. Ce moyen technique montre l’emprise que Manille exerce sur Julio, qui va finir par être happé par les forces noires qui la contrôlent.
Un coffret consacré au réalisateur philippin, Lino Brocka, comprenant Manille et Insiang, sera disponible chez CarlottaFilms à partir du 7 juin. Les deux films sont présentés en version restaurée en Blu-ray, accompagnés d’un documentaire et d’une présentation de Pierre Rissient. Un documentaire d’Hubert Niogret sur le cinéma de ce pays viendra compléter l’ensemble. Les deux films seront également disponible en éditions individuelles Blu-ray et DVD.





