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Japon | Etrange Festival 2003 | Rencontres

Masato Harada

"Le spectateur japonais de base n’est pas encore prêt pour voir des films bien faits - en tout cas pas des films bien faits à thématique sociale."

Il a pourtant côtoyé Hawks, Kubrick et Lucas, Masato Harada n’en garde pas moins un enthousiasme étonnant par rapport à son métier. Conscient des qualités et des défauts (y en a-t-il tant que ça ?) de son œuvre, le réalisateur jette un regard pertinent et honnête sur ses films, ses ambitions, la société japonaise... en n’oubliant jamais sa spontanéité et sa faculté à sourire. Car l’homme est bavard, et démarre au quart de tour sur une question, dés que l’une des idées énoncées l’intéresse. Les questions préparées sont vite rangées, le concept d’interview disparaît au profit d’une véritable rencontre, et l’on se laisse guider par un réalisateur à l’image de son œuvre : réaliste et rêveur à la fois.

La version intégrale de Kamikaze Taxi...

"Il n’existe actuellement aucune copie 35 ou 60 mm de la version intégrale de Kamikaze Taxi. Peut-être qu’en DVD, vous aurez l’occasion de voir toutes les versions différentes : nous allons produire au Japon, une édition DVD du film d’ici 4 ou 5 mois."

Masato Harada par Masato Harada

"J’ai commencé ma carrière de réalisateur en 1979. Mon premier film, Goodbye, Flickmania, est plus ou moins autobiographique, basé sur ma propre expérience à 19 ans. C’est l’histoire de deux cinéphiles. Ce qui est intéressant d’ailleurs, c’est qu’il se peut que la seule copie sous-titrée en anglais du film soit ici, à la Cinémathèque Française. Le film a donc été projeté une fois à Paris, en 1986."

"J’ai continué à faire des films depuis. J’ai par ailleurs travaillé en tant que journaliste - avant Goodbye, Flickmania - et j’ai aussi réalisé les sous-titres japonais de certains des derniers films de Stanley Kubrick. Le premier sur lequel je suis intervenu, c’était Full Metal Jacket : Kubrick ne trouvait personne qui parvienne à retranscrire le langage du film en japonais. C’est pour cette raison qu’il m’a contacté, et j’ai travaillé pour lui. J’ai par ailleurs œuvré sur les sous-titres japonais de L’Empire contre-attaque, et quand La guerre des étoiles est ressorti, j’ai travaillé sur ses sous-titres aussi. [ Pause ] Non, en fait c’était pour la version doublée en japonais. George Lucas m’a embauché, et j’ai pu choisir moi-même les acteurs pour le doublage. Pour le personnage de Ben Kenobi, j’ai choisi un acteur de Kabuki qui n’avait jamais fait de doublage ; il s’est avéré merveilleux, c’était très amusant !"

"Aujourd’hui, j’ai des pied-à-terre à la fois à Los Angeles et Tokyo, et je navigue entre les deux. J’ai par ailleurs démarré récemment une carrière en tant qu’acteur, dans The Last Samurai ; je joue un méchant face à Tom Cruise. [ Rires ] Ca pourrait être une nouvelle carrière pour moi... A cause de ce film, j’ai dû prendre un nouvel agent, un nouveau manager à Hollywood. Mon prochain film bien que japonais, pourrait être financé par un grand studio hollywoodien. Par la suite, j’aimerais rester plus longtemps que d’habitude à Los Angeles, afin de pouvoir développer des projets que je tournerais aux USA. Quoiqu’il arrive, je continuerais à naviguer entre les deux pays, et si nécessaire je veux bien venir tourner en Europe !"

Déclinaisons et localisations, géographiques et temporelles

"Je pourrais refaire Kamikaze Taxi aux USA. J’ai même déjà commencé à faire des recherches sur la population péruvienne-américaine du New Jersey. Et je pense à Benicio Del Toro pour reprendre le personnage de Kantake. [ Rires ] J’adorerais travailler avec lui ! Je veux travailler "par géographie". Aux USA par exemple, j’aimerais réaliser un grand Western, tandis qu’au Japon ce serait plutôt un film de Samurais. A chaque fois, j’effectuerais des recherches approfondies pour rendre ces films réalistes. En Europe, j’aimerais réaliser des fresques historiques, un film de guerre... Prenons un exemple ; ce matin j’avais deux heures de temps libre et je suis allé au Louvre. Tout y est fascinant, la structure dans son ensemble ; il y avait tellement d’espaces intéressants à explorer ! C’était ma deuxième visite au Louvre, et pendant que je me promenais je réfléchissais... et si le premier groupe de Samurais à mettre les pieds en France se rendait au Louvre et s’y perdait, et qu’intervenait une espèce de faille temporelle dans laquelle seraient aussi pris des personnages français ? A chaque fois que je découvre un nouveau lieu, un nouveau pays, j’éprouve un certain enthousiasme à sonder ainsi les lieux de tournage potentiels."

"Il y a différents sujets de société que je veux aborder aux USA. Dans le cas de la population péruvienne-américaine, le message que j’aimerais faire passer est très précis - bien que je ne puisse vous le révéler aujourd’hui. Ce que je peux vous dire, c’est que ça a un rapport avec le cas Alberto Fujimori. Bien que cette histoire se déroule au Japon actuellement, quelqu’un comme Alberto Fujimori pourrait aussi bien fuir vers les Etats-Unis. Que se passerait-il alors, si vous étiez péruvien-américain, et responsable pour les péruviens et indiens sur place ? Voilà le genre de situation que j’imagine. A un moment donné, j’ai aussi pensé réaliser Bounce 2 au Texas, à la frontière mexicaine. Deux jeunes japonaises traverseraient le Mexique en pensant se rendre à New York, mais se retrouveraient en réalité à la frontière entre le Mexique et le Texas, confrontées au KKK et aux immigrés illégaux. Ce genre de thématique "frontalière" pourrait aisément influencer le destin des deux japonaises, et permettrait de commenter de façon intéressante la situation des adolescents américains qui vivent près de cette frontière. Ce sont les thèmes qui m’intéressent."

"Il serait certainement plus simple de financer Bounce 2 en reprenant les personnages de Bounce, avec peut-être une trame semblable mais un message différent. Généralement j’aime créer de nouveaux personnages, mais si l’on aime des personnages d’un autre film, alors il peut valoir le coup de les réutiliser. Par exemple, bien que j’ai dit souhaiter vouloir travailler avec Benicio Del Toro pour la version américaine de Kamikaze Taxi, il y a aussi la possibilité que je fasse Kamikaze Taxi 2, avec les mêmes acteurs que dans le premier film. Koji Yakusho endosserait à nouveau le personnage de Kantake, mais il vivrait désormais au Pérou et l’histoire s’intéresserait aux mécanismes de sa rédemption là-bas. Je peux aussi faire cela - je veux le faire - car Koji Yakusho et moi aimons beaucoup ce personnage, et nous avons besoin de sa continuité, de le voir évoluer et voir les choses différemment. C’est un peu comme l’histoire d’Antoine Doinel que François Truffaut a commencée dans Les 400 coups. Les films que je veux faire ne seraient pas en tous points semblables, mais ils se devraient de partager cette même approche, linéaire, de la réalisation. Je pourrais ainsi développer un thème précis, en réutilisant sans cesse le même personnage. Il y aurait un laps de cinq ans entre chaque film, et nous pourrions nous rendre compte de l’évolution du personnage et de la société ; ce serait une façon intéressante d’envisager la création d’un mouvement continu..."

"Ce sont ces notions dont je discutais avec mes actrices pendant le tournage de Bounce. "Vous avez 16 ou 17 ans - c’était le cas des trois actrices à l’époque - il se peut que dans trois ans vous ayiez beaucoup changé, que vous voyiez les choses différemment". C’est cela que je voudrais intégrer, aux personnages aussi bien qu’à l’histoire. Alors, nous pourrons discuter de Bounce 2. Ca ne s’est pas fait... pour l’instant. A l’avenir cependant, je pense que c’est le genre de communication que j’aimerais conserver avec les actrices de Bounce."

Des approches différentes du cinéma "social" : Masato Harada vs. Battle Royale

"Je ne pense pas que les messages de Battle Royale aient été perçus par qui que ce soit, en dehors des jeunes de 15 ans. Le film n’est pas bien réalisé de toute façon. Mais le livre lui, m’a beaucoup intéressé, et il ne m’aurait pas déplu de l’adapter ; si je l’avais fait, j’aurais peut-être eu un impact plus important auprès d’une autre génération - et peut-être pas. Son sujet lui-même m’intéresse, mais Battle Royale me dérange parce que tous ces rôles d’adolescents - âgés de 14, 15 ans - ont été joués par des jeunes d’une vingtaine d’années et ça se voit, ça fait faux tout au long du film. De plus dans le monde du cinéma, il existe ce film merveilleux, Lord of the Flies de Peter Brook, dans lequel des enfants de 14 ans jouent des personnages de leur âge. C’aurait dû être pareil pour Battle Royale. Alors seulement, le film aurait pu entrer en contact avec une réalité sociale. Parce que nous avons effectivement ces problèmes avec les adolescents japonais actuellement, les crimes juvéniles augmentent d’une façon étrange.
J’aimais beaucoup M. Fukasaku quand il était plus jeune, et je trouve dommage que Battle Royale soit devenu son dernier film. Je n’ai pas eu l’occasion d’en discuter directement avec lui, néanmoins j’ai abordé le sujet avec son fils qui a produit le film. Bien que je n’apprécie pas ce film toutefois, j’ai collaboré avec M. Fukasaku juste avant son décès, en écrivant un scénario pour lui. Celui-ci a été annulé à cause du 11 septembre : l’histoire traitait de terroristes japonais dans un futur proche, et n’a donc pas été portée à l’écran. Du coup vous voyez, j’ai une attitude candide envers Battle Royale et son réalisateur. Et il est très étrange que mes films ne parviennent pas à susciter le même engouement, [ Rires ] car ils sont plus réalistes et facilitent l’identification."

"C’est pour cette raison que je pense que je ne vivrais pas éternellement au Japon. Le spectateur japonais de base n’est pas encore prêt pour voir des films bien faits - en tout cas pas des films bien faits à thématique sociale. Et ce n’est pas complètement sa faute ; c’est avant tout une histoire de marketing. J’ai toujours trouvé le poster d’Inugami peu adéquat, la vente de Bounce mal menée... mais comme je ne suis pas Stanley Kubrick et que je ne détiens pas le contrôle à 100% sur mes films, je dois pour chacun d’eux faire des compromis en matière d’aspects publicitaires, du choix du circuit de salles... Un film comme Bounce devrait d’abord être diffusé sur le circuit des festivals à l’extérieur du Japon, avant de revenir avec une réputation internationale à même de lui garantir une sortie plus conséquente, et plus de spectateurs. Je pense que ce problème sera résolu le jour où mes films seront financés par des sociétés étrangères. Munis d’une telle garantie, ils auront un plus grand impact, tout du moins au Japon. Bien que mon prochain film soit japonais, il se peut qu’il soit financé par un grand studio hollywoodien. Si c’est le cas et que le nom de ce studio est juxtaposé à un titre japonais, cela créera une perspective nouvelle. Les spectateurs japonais ne s’intéressent qu’à un produit, sans se soucier de qui l’a réalisé. Peut-être que mon nom ne signifie rien pour eux mais que, combiné avec celui d’un studio ou d’une actrice française, il prendrait un sens nouveau."

Inugami : intentions

"Ca ne me dérangeait pas qu’Inugami fasse partie d’un double-programme ; c’était prévu de la sorte depuis le début, en tant que partie d’un double créneau d’horreur de la Kadokawa pour la Toho. Le premier de ces programmes de la Kadokawa, Ring et Rasen, avait eu beaucoup de succès et du coup deux fois par an - en janvier et en été - la société en produisait de nouveau. C’est la troisième année je crois qu’Inugami a été choisi ; en réalité ce n’était même pas leur choix. Contractuellement, la Kadokawa devait faire un autre double-programme pour la Toho, mais ils ne parvenaient à trouver ni de scénario, ni de réalisateur convenables. A ce moment-là je travaillais sur un autre projet qui n’a pas abouti, alors j’ai proposé à la Kadokawa (qui cherchait de jeunes réalisateurs, un metteur en scène expérimenté n’ayant aucune raison de s’abaisser à participer à un double-programme) de réaliser Inugami. J’ai obtenu les deux tiers du budget de l’ensemble. Et surtout si j’ai fait Inugami, c’est parce que c’est une bonne histoire, dont je pensais qu’elle pouvait avoir un impact conséquent en dehors du Japon."

"En réalité ce n’est pas du tout un film d’horreur, et d’une certaine façon j’ai profité de la situation autant que triché. Quoiqu’il en soit les gens de la Kadokawa ont bien aimé le film, et ont envisagé de le sortir tout seul. Certains ont même essayé de le faire, mais le "package" était déjà vendu. Le concept de la Kadokawa étant déjà, commercialement parlant, sur la mauvaise pente à l’époque je savais qu’Inugami ne marcherait pas au Japon. Les critiques ne se sont même pas déplacés pour le voir, étant donné qu’en plus de faire partie d’un double-programme c’était censé être un film d’horreur. Mais je me fichais de leurs réactions, ce qui m’intéressait c’était de pouvoir montrer le film à l’étranger. Inugami a très bien marché sur le circuit festivalier, bien qu’il n’ait pas remporté un seul prix. S’il en avait gagné, je pense que l’avenir du film - en matière de distribution en dehors du Japon notamment - aurait été différent. Mais ça arrivera bientôt. Je vais probablement réaliser un autre film destiné aux festivals internationaux l’an prochain, et s’il marche je pense que j’aurais toutes mes chances. Ca arrivera bientôt, par conséquent j’essaye de ne pas être trop frustré pour le moment. [ Rires ]"

La suite...

"D’une certaine façon, c’est un mélange entre Bounce et Kamikaze Taxi. A la place des trois filles cependant, les héros sont trois garçons qui assistent un tueur à gages mourant. Celui-ci tente d’échapper à son organisation pour rentrer chez lui - à Okinawa - et mourir en paix. Le groupe doit donc voyager de Tôkyô à Okinawa, et le tueur à gages pense pouvoir rester en vie tant qu’il colle à ce trajet qu’il avait choisi, trente ans auparavant en arrivant au Japon..."

Propos recueillis le lundi 8 septembre 2003 au Forum des Images, au cours de la onzième édition de l’Etrange Festival. Interview réalisée avec la participation d’Elan films. L’équipe de SdA tient à remercier Aurore et Axel, ainsi que toute l’équipe de l’Etrange Festival pour la qualité de leur accueil.

- Article paru le vendredi 12 septembre 2003

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