Metade Fumaca
Après 30 années d’exil au Brésil, Roy, autrefois surnommé Mountain Léopard d’après le tatouage mafieux qui orne son dos, s’en revient à Hong Kong. Désorienté par cette ville où les Mac Do ont remplacé les Night Clubs d’antan, il fait la connaissance de Smokey, jeune voyou freelance dont il apprécie l’initiative chevaleresque, de défendre de sa lame l’honneur d’une simple prostituée, et qu’il convainc, à l’aide d’un sac rempli de billets, de l’aider dans sa mission meurtrière. Roy en effet, souhaite se venger de son adversaire de toujours, Nine Dragons, qui, non content d’avoir trahi son honneur et son clan, a volé au tueur dégarni et vieillissant l’amour de sa vie. Une femme à la beauté hors pair qui constitue le seul souvenir auquel Roy, affabulateur potentiel dont la mémoire semble ponctuellement prise en défaut, est désireux de s’attacher... Smokey pour sa part, est en quête d’un souvenir qu’il ne possède pas : le visage de son père, que sa mère, autrefois prostituée sur Portland Street, n’a pu apercevoir, le temps d’une union fugace et enfumée.
Ne comptez pas sur moi pour incarner l’avocat condamnatoire d’un cinéma de Hong Kong qui, depuis la rétrocession, recherche une identité nouvelle sur la base de laquelle se refaire une santé. Si beaucoup de gens s’amusent depuis plus d’une décennie à prononcer le décès du cinéma HK, j’ai toujours trouvé en celui-ci matière à justifier, sans hypocrisie ni dévotion aveuglée, la continuité de ma passion pour les images d’extrême Orient. Certes, la cartographie cinématographie asiatique a beaucoup évolué au cours des dernières années, mais Hong Kong a su briller notamment de ses polars tortueux, de l’évolution stylistique de Soi Cheang, et du talent confirmé d’auteurs issus de générations diverses, tels Ann Hui, Pang Ho-cheung ou Lawrence Lau. Pourtant, à la vision de Metade Fumaca, force m’est d’avouer que la magie qui régissait les subtiles comédies dramatiques de la United Filmakers Organization a, à un moment ou un autre, disparu des pellicules et support numériques exploités dans l’ex-colonie.
Car oui, ce conte retenu, d’un ancien voyou atteint d’Alzheimer à la recherche de l’amour de sa vie, est empreint d’une véritable magie. Jouant discrètement de l’unité de temps variable qu’incarne la cigarette éponyme du film, Yip Kam-Hung livre une histoire d’affection à l’épreuve du temps. L’équilibre précieux de la narration, qui s’incarne en humour implicite, flashbacks grandiloquents et souvenirs émus, parvient à faire de personnages habitant différentes temporalités, des protagonistes évoluant côté à côté, au sein de la même narration. La cigarette « à moitié fumée » du titre incarne, pour Roy comme pour le réalisateur, un moyen de stopper l’avancée du temps, de figer Shu Qi - magnifique et rappelant, comme Eva Mendes dans La Nuit nous appartient, combien la cigarette est cinégénique – dans une beauté immuable qui confère toute sa force au constituant qu’est le souvenir. Echangée entre deux adversaires, partagée par deux amis... omniprésente, elle est aussi la mesure du temps que la mère de Smokey a connu son père, identitaire au point de devenir le sobriquet du jeune homme. Paradoxe, sa fumée s’interpose entre Smokey et le souvenir ; tout autant qu’elle trouble la perception de nos deux héros, lorsqu’ils en remplissent l’habitacle de leur voiture au cours d’une filature.
C’est aussi au travers d’un voile, celui de la délicatesse, que Yip Kam-Hung laisse entrevoir la nature de sa narration, les forces et faiblesses de ses attachants protagonistes, le moteur de sa course à petits pas contre l’oubli. Il juxtapose dialogues et action sans rupture de rythme, nimbe ses affrontements de la même musicalité brésilienne que ses échanges, symbolise la défaillance de la mémoire à l’aide des sauts répétés d’un disque vinyle. Le réalisateur définit ainsi un véritable terrain de cinéma, où mensonge et réalité ne font qu’un, au service de la construction d’images, et donc de souvenirs qui, bien que fictifs, ne paraissent jamais artificiels. En opposition totale avec un humour non-sensique très en vogue à Hong Kong, il laisse au spectateur le choix de trouver drôle ou non, les gags discrets, mais pas pour autant subtils, qui parsèment le film. Et surtout, il profite au maximum d’un casting irréprochable, d’Eric Tsang, merveilleux et pathétique à la fois, à un tout jeune Nicholas Tse, en passant par la toujours excellente Sandra Ng et autre Kelly Chen, objet implicite d’une autre trame amoureuse. Celle-ci conclut d’ailleurs le film de son sourire dirigé vers une caméra identifiée. Et si Kelly brise ainsi en quelque sorte la magie du cinéma, elle conforte, d’un photogramme à même de rejoindre l’instantané instable de Shu Qi auquel s’accroche Roy, celle de Metade Fumaca, inestimable dans son optimisme bienveillant.
Metade Fumaca est disponible en DVD HK, sous-titré anglais.




