Missing
C’est au cours d’une séance de photographies sous-marines à son insu, que Gao Jing, jeune psychiatre coiffée d’une mèche slash frange exacerbée, devient l’objet de l’affection de Guo Dong, le frère de sa meilleure amie Xiao Kai. Leur relation se concrétise et est sur le point d’être entérinée, puisque Guo Dong, au détour d’un vœu d’anniversaire, déclare vouloir emmener sa belle dans les profondeurs des eaux japonaises, visiter une véritable cité engloutie. Cité dans laquelle, selon l’un de ses collègues et ami, il aurait déposé une bague à offrir à l’être choisi... L’expédition est fixée à la semaine suivante, mais Missing ne nous en montrera rien, préférant taire une quinzaine pour nous emmener devant l’autel du défunt Guo Dong, décédé lors de la plongée dans d’étranges circonstances, et retrouvé – un détail - sans tête. Xiao Kai, déjà instable puisqu’elle est l’une des patientes de Gao Jin, lâche la rampe, et Gao demande à son boss de l’hypnotiser pour tenter de retrouver la mémoire du tragique accident. La séance esquisse la possibilité d’une seconde personnalité chez la belle, et dégrade la situation plus qu’elle ne l’améliore : la jeune femme étant désormais sensible aux perméabilités de l’outre-monde...
Missing... Au vu des premières minutes de cet étrange faux film d’horreur – peut-être faux film tout court, nous y reviendrons -, on se fait pourtant la remarque que rien ne semble manquer au métrage de Tsui Hark. Ou, ce serait plus juste, que l’on ne voit pas ce que l’auteur-réalisateur-producteur aurait pu y mettre de plus. En l’espace de quelques fondus-enchaînés expérimentaux, Tsui aborde des problématiques écologiques (l’enfouissement du CO2 dans les fonds marins pour limiter l’effet de serre), sociales (le pourcentage de la population en besoin d’assistance psychologique), mystiques (l’éternité chère à Guo Dong, qui ne voit pas la mort comme une fin), romantiques, médicales, fraternelles, mais aussi un surnaturel limitrophe (un esprit escorté par des prêtres blasés lors de la veillée du plongeur sans tête) et les affres d’une mode par trop affirmée (la frange – j’y tiens – d’Angelica Lee, mais aussi ses lunettes à faire pâlir l’accessoiriste de Casino). Au passage il affirme une velléité stylistique, sorte d’équivalent au travail des game designers modernes en matière d’intégration de l’interface utilisateur dans l’environnement, en fondant dès le générique toute indication textuelle dans le décor. Somme toute, Missing s’annonce, sinon passionnant, parfaitement intriguant. Mais rappelons qu’à sa façon, Black Mask 2 l’était aussi.
Tête baissée donc, Tsui Hark se lance dans une relecture du « I See Dead People » pourtant éculé pendant des années par l’ex-colonie, certainement dans son désir de le repackager pour un public chinois toujours plus large et, semblerait-il, avide de nanars déguisés en productions AAA. L’intrigue première du film – mais qu’est-il donc arrivé à Guo Dong, et que cache cette cité engloutie ? - s’efface puis disparaît, au profit de la capacité de Gao Jing à assumer ses visions macabres. Le réalisateur cite très ouvertement The Eye – avec un remake éhonté mais efficace de la scène de l’ascenseur – et, flanqué de l’insupportable médium incarné par Chang Chen, Simon, entraîne son héroïne au confins d’un kaléidoscope horrifique gratuit, qui culmine lors de visions plurielles et sans queue ni tête dans son appartement. Une défunte qui réclame à manger dans son lit, un noyé qui traîne dans la salle de bains, un homme au crâne entrouvert qui croasse comme le Toshio de Ju-on (à savoir comme un crapaud métallique), un gendarme qui assure la circulation dans le salon... A cet instant, on comprend que ce qu’il manque à Missing, c’est un fil directeur. Pire : un objectif narratif.
D’ailleurs, au risque de vous spoiler cet édifice surréaliste, Tsui Hark aura tôt fait, façon Boxing Helena, de renier sa longue excursion, glauque et incompréhensible, au profit d’un dernier quart mélo post-mortem teinté de surnaturel (abandonnant d’ailleurs au passage l’iconoclaste signature visuelle première de Missing). Un deuxième film dans le film, qui ignore autant qu’il l’invalide le premier – dans lequel se trouvaient malheureusement les seuls éléments à même de justifier ne serait-ce qu’une once d’implication de notre part. Face à ce gâchis, on se souviendra que le couple Angelica Lee / Chang Chen était tout de même merveilleux dans Betelnut Beauty, que l’affront capillaire sied mal à cette Princess-D, que, sapé par un grand couturier drogué, Tony Leung Ka-fai est encore apte à surprendre ceux qui le reconnaîtront, que les poissons sont capables de briser les aquariums à coups de tête, et que les morts errants s’enflamment au contact des humains. Une conclusion qui n’est certes possible que devant un film de Tsui Hark – l’homme ne se contredit pas et c’est déjà bien – mais qui ne suffit pas à nous impliquer dans ce film qui, deux heures durant, s’efforce de ne rien raconter.
Missing est disponible en DVD HK chez Deltamac, avec sous-titres anglais. La qualité de la copie est inversement proportionnelle à celle du métrage lui-même.





