Monrak Transistor
La vie rurale thaïlandaise, ses détentes foraines, sa basse-cour et une bonne dose de musique. C’est dans ce cadre que s’inscrit la vie paisible de Pèn (Supakorn Kitsuwon), jeune homme qui caresse le désir de devenir une star de Loogthung (ce que les occidentaux qualifient de "country music" thaïlandaise, à savoir une forme naïve de variété populaire). Au travers de ses prestations sur la place du village, Pèn exprime son amour pour la belle Sadao (Siriyakorn Pukkavesh) qu’il n’est pas le seul à convoiter. C’est d’ailleurs une rivalité amoureuse qui tourne - à sa défaveur - en bagarre généralisée, qui l’amène à échanger véritablement avec l’élue de son coeur. Commence alors une romance tranquille, quelque peu ternie par la violente méfiance dont fait preuve le père de Sadao à l’égard de notre héros. Son doux acharnement lui permet tout de même d’obtenir la main de Sadao, qu’il ne tarde pas à mettre enceinte.
C’est ainsi que débute le périple candide de Pèn. Quelques mois après le début de la grossesse de sa femme, le jeune homme est mobilisé pour effectuer son service militaire en opération. Avant de partir, il offre à Sadao un transistor en guise de compagnon musical.
Un soir de permission, il participe à un "tremplin Loogthung" dont les deux vainqueurs rejoindront la troupe d’un artiste célèbre. Bien qu’il choisisse de jouer une chanson de son propre répertoire et soit donc contraint à chanter sans accompagnement, Pèn en ressort victorieux aux côtés de la jeune Dao (Porntip Papanai). Il déserte donc pour entamer la carrière de ses rêves, mais est abusé pendant plus de trois ans par Suwat (Somlek Sadikul), un manager gay et manipulateur qui fait de lui son homme de ménage, pendant que Dao multiplie les succès sous ses yeux. Un jour, une opportunité se présente enfin, mais Suwat entend bien obtenir quelque chose de son nouveau "poulain" en échange de la gloire. Le train du destin de Pèn accelère violemment sa marche, l’éloignant toujours plus de Sadao et de leur fils qu’il n’a jamais croisé...
Troisième film de Pen-Ek Ratanaruang après Fun Bar Karaoké et 69 - et avant Last Life in the Universe -, Monrak Transistor est une comédie douce-amère sur le destin humain, une fable noire sur la poursuite d’un idéal mal réfléchi. S’y dessinent déjà les grands traits de la mise en scène nonchalante qui caractérise le réalisateur : au travers de l’usage désinvolte de la comédie musicale, des prises à parti du spectateur par les différents protagonistes, et du ton tranquillement évolutif de la narration et de sa construction visuelle, Pen-Ek s’affirme comme un réalisateur improvisé et surtout non-préoccupé. Un peu à l’image de Takashi Miike qu’il a notamment fait jouer dans Last Life in the Universe, Pen-Ek possède en effet l’avantage de ceux qui n’ont pas particulièrement souhaité oeuvrer dans le milieu cinématographique. Un accident de parcours qui lui confère une liberté totale de mise en scène, uniquement conditionnée par l’envie spontanée de composition de l’image et du mouvement. Ainsi, Monrak Transistor oscille allègrement entre poésie niaise (l’ouverture du film), violence mesurée (les douloureux passages dans la plantation et en prison), panique cinétique (fabuleuse course poursuite à pieds) et tristesse authentique (toutes les scènes impliquant Sadao dans la seconde moitié du film).
Plus que l’influence de Tarantino que les critiques du monde entier reconnaissent au réalisateur thaïlandais, je pencherais ici plutôt, du point de vue émotionnel, pour celle de Paul Thomas Anderson - l’auteur entre autres, de Boogie Nights et Magnolia. Certes, ce dernier a lui-même filtré le "compilateur Tarantino", mais il y a rajouté cette facilité à naviguer du drôle au sordide sans qu’aucune des deux émotions soit jamais pervertie par l’autre, conférant à ses histoires une texture authentique : celle, souvent duale, de la "vraie vie". Il en va de même pour ce conte pourtant caricatural de Pen-Ek, qui énonce douloureusement - bien que l’ensemble soit emprunt d’un certain enthousiasme - la pertinence de l’expression "Home is where the heart is". Supakorn Kitsuwon et Siriyakorn Pukkavesh - Tears of the Black Tiger et One Night Husband respectivement - y sont magnifiques, et traduisent avec une aisance désarmante toute la latitude émotionnelle du film - et par extension de la vie. Si comme moi vous avez raté ce film lors de sa sortie en France en novembre 2002, je ne peux donc que vous conseiller d’y remédier au plus vite !
Diffusé dans le cadre des premières Rencontres du cinéma asiatique de Paris, Monrak Transistor est disponible au choix, en DVD thaïlandais (toutes zones, PAL) ou HK (zone 3, NTSC) - tous deux sous-titrés en anglais.


