Mother of Tears
Des travaux aux abords d’une église italienne mettent à jour une tombe mystérieuse, à laquelle est enchaînée une urne qu’un ecclésiastique redoute maléfique. C’est pourquoi il la dépêche à un dénommé Michael Pierce, directeur de musée à Rome et spécialiste de la magie et autres sciences occultes. En son absence toutefois, c’est son assistante Giselle qui la reçoit. La curiosité, peut-être un vilain défaut mais inévitable, l’encourage à ouvrir l’urne en compagnie d’une étudiante en archéologie et arts anciens, Sarah Mandy... Sitôt la boîte inspectée, Giselle est assassinée dans d’affreuses circonstances. Sarah, terrifiée et poursuivie par un singe délateur (!?), tente de s’enfuir mais sa course semble sans issue ; c’est alors qu’une voix se manifeste dans sa tête, et que les portes jusqu’alors verrouillées du musée s’ouvrent devant elle...
Sarah s’enfuit et, avec l’aide de Michael, elle cherche à comprendre pourquoi Giselle a été étranglée avec ses propres intestins. Il semblerait que l’urne ait réveillé la troisième mère, Mater Lachrymarum, et que son emprise funeste soit en train de s’étendre sur Rome. Mais Sarah est la fille d’Elisa, puissante sorcière « blanche », dont il semble qu’elle ait hérité des pouvoirs capables d’enrayer cette apocalypse...
Vingt-sept ans après Inferno, Dario Argento s’en revient enfin aux Trois mères, oublie que l’architecture, la spatialisation et les motifs musicaux étaient les piliers de sa trilogie, retrouve et ridiculise sa propre fille (à moins que ce soit l’inverse), franchit les limites du convenable à plusieurs reprises, croise Claudio Simonetti avec Dani Filth... et, s’il omet d’ajouter un hélicoptère à son film, livre tout de même, en réalité, une seconde suite à Demons et non à Suspiria.
Commençons par la fin : si Mother of Tears a bien un point commun avec ses frangines, c’est que Dario ne sait toujours pas conclure correctement une histoire de sorcellerie. Les derniers instants du périple de Sarah, apeurée Asia dôté de supposés pouvoirs magiques, inutiles, pillent (visuellement) Phenomena et constituent un anti-climax parfaitement déroutant. Au point que, délirants, Sarah et son compagnon d’infortune, l’agent Enzo Marchi, s’écroulent, morts de rire, devant le matte painting de la résidence déchue de cette troisième, délicieuse et pathétique sorcière. Et on les comprend : alors que le film s’éteint sur la voix du chanteur de Cradle of Filth, c’est le rire qui monte en nous, nerveux et authentique à la fois, plutôt que la crainte des susurrements hérités de la bande son de Suspiria.
Car Mother of Tears le vaut bien. Dans ses lacunes, son je-m’en-foutisme et ses excès appliqués, Mother of Tears bien qu’un Argento plus que mineur, est un film que l’on retiendra comme étant non pas ridicule (ce qu’il est, régulièrement), mais réjouissant. Comment ne pas vibrer de plaisir devant les excès de violence qu’accumule allègrement ce troisième opus tardif ? Si la palme revient au premier meurtre – la dénommée Giselle, étranglée je le répète, à l’aide de ses propres intestins – le film est parcouru de fulgurances ahurissantes – le bébé jeté du haut du pont, Asia qui broie la tête de Jun Ichikawa en trois-quatre coups de porte coulissante, le viol-empalement et j’en passe... qui témoignent de la brutalité dans laquelle peut s’enfermer Argento quand il tourne dans un certain vide narratif (cf Opera). Habitué des espaces confinés, qu’il explorait autrefois de fond en comble avec sa caméra pour se jouer des dimensions, des cadres et des possibles hors-champ, le transalpin tente ici de jouer sur une échelle urbaine – celle de Rome –, esquissant une déliquescence globale (les actes de violence gratuits) qu’il ne parvient jamais à rendre effrayante, ni même palpable... Enfin, Argento s’en revient à la tendance très glam rock de Demons, avec ses punkettes agressives et autres dandys sapés n’importe comment, plonge dans le black métal et se laisse aller à la présence quasi contractuelle d’Udo Kier : une vraie machine à remonter les eighties.
Il y a bien le parcours, silencieux et ininterrompu, d’Asia dans la demeure de notre dénudée troisième maman, qui nous rappelle, vaguement, combien Dario aimait jouer de son talent à déformer et détourner les espaces et les volumes, mais c’est peu. L’ombre des Argento d’autrefois plane, lointaine et bricolée, sur le film – Daria Nicolodi, en fantôme très Joséphine, Ange gardien, joue même la maman d’Asia qui peut donc une fois de plus sombrer dans la thérapie familiale en public – mais ne s’installe jamais vraiment. Et pour cause : le hors-champ, si important dans l’œuvre du réalisateur, n’existe plus : il a, très explicitement, envahi l’image de façon permanente ; l’arythmie volontaire des deux premiers opus, elle, laisse la place à une course effrénée vers la surenchère gratuite. Pour couronner le tout, Asia joue bizarrement - pour ne pas dire mal -, comme si elle se moquait de son père ; ça ne l’empêche pas d’être magnifique, et ça permet au film, finalement, de jouir de son statut plus ou moins volontairement second degré. Car en tant que brouillon apocalyptique hard-gore débridé, Mother of Tears se pose là, candidat évident à la programmation d’une cinémathèque bis du futur.
Mother of Tears est disponible en DVD partout, et donc aussi chez nous. Bien belle édition que celle concoctée par Seven 7 qui, au vu des bandes annonces DTV précédant le métrage, a saisi l’esprit du projet.




