Motorway
Cheung (Shawn Yue), jeune as du volant au service des forces de l’ordre hongkongaises, pilote d’une voiture banalisée à même de prendre en chasse les fous du bitume, a bien du mal à s’en tenir aux procédures. Aussi lorsque, en pleine arrestation, il abandonne son partenaire Lo (Anthony Wong), à quelques mois de la retraite, pour prendre en chasse un fuyard, désobéissant aux ordres dans un insolent silence radio, Cheung se fait-il rétrograder aux simples contrôles radars. Ce qui sied bien à Lo, tellement effrayé par la vitesse qu’il ne touche même pas au volant, mais beaucoup moins à Cheung qui prend sur son temps libre et son bolide perso pour régler ses comptes avec les chauffards. Les excès de vitesse de Jiang (Guo Xiao-Dong), malfrat du mainland qui refait surface pour libérer un confrère de prison, vont refaire de Cheung un flic motorisé, mais aussi le confronter à son infériorité de pilote. Heureusement, l’aversion du briscard Lo pour la vitesse cache un talent traumatisé pour la conduite urbaine, à même de rendre la confrontation équitable...
Après avoir erré pendant de nombreuses années dans les méandres de l’écriture et de la production, Motorway arrive enfin sur nos écrans, et révèle avec un certain aplomb son écrin de clichés surannés. Un héros tête brûlée, à l’arrogance un temps rembarré, qui doit puiser, auprès d’un mentor révélé, sagesse et savoir pour se hisser à nouveau au sommet... Rajoutez à cela un signature move unique qui ravira les fans de drift, une superficialité presque insultante dans le traitements de personnages féminins syndicaux (n’en déplaise à la beauté de Barbie Hsu et la frange de Josie Ho), et une cinématographie anti-spectaculaire, et tout laisse à penser que Motorway, longtemps désiré, a tout de la baudruche dégonflée. Pourtant, c’est justement dans cet échec a priori, que le successeur de Soi Cheang à Accident brille de qualités insoupçonnées.
Puisque la topographie de l’ex-colonie se prête peu aux excès de Vin Diesel et de ses potes clinquants, Soi Cheang décide de prendre le contre-pied du film de bagnoles traditionnel, de délaisser les carambolages surnuméraires et les explosions intempestives. En s’appuyant sur la structure narrative simpliste du métrage, dont l’absence de verbe s’accorde avec l’expression visuelle, et dont les clichés ne demandent finalement qu’à être détournés, le réalisateur s’attache à la restitution d’une passionnante abstraction de la confrontation motorisée. Soi Cheang filme les poursuites dans un certain silence, favorise la concentration à l’adrénaline, dilue la vitesse dans l’obscurité, la fumée des pneumatiques et de jolies nappes électroniques... Le parti-pris, souvent radical, est fascinant lorsque Soi Cheang livre ses protagonistes, couples humain/véhicule, à la pénombre, joue à cache-cache dans un parking tous feux éteints, ou écoute plus qu’il ne montre une voiture de police heurtée de plein fouet dévaler une colline. Dans ces séquences qui constituent l’anti-climax sans cesse renouvelé du métrage, on reconnaît les décadrages et asymétries que Soi Cheang pratiquait déjà dans l’excellent New Blood ; et Motorway affirme une personnalité à la fois pertinente et attachante.
Pertinente, car il y a de la cohérence dans cette restreinte visuelle, refus du grand spectacle qui aurait pu signer l’échec commercial du film, en phase avec son signature move qui consiste à maintenir un quasi sur-place de 2 km/h à 8000 tours. Soi Cheang aurait pu lâcher la pédale de frein et regarder la tôle se froisser, mais son emballage l’aurait alors desservi et condamné à de peu flatteuses comparaison. Ainsi maitrisée, la puissance de Motorway s’exprime en creux, dans une infime portion de l’écran et dans l’obscurité, dans un fantasme de conduite hors-champ et par conséquent libre de contraintes. Ses maladresses plus ou moins volontaires lui confèrent par ailleurs une familiarité qui suscite un sourire à la fois railleur et de contentement, zone de confort au sein de laquelle il devient plus aisé d’excentrer le spectateur. Véritable négatif du film de vitesse, Motorway s’affirme ainsi étonnante réussite.
Présenté lors de l’édition 2012 du Festival des 3 Continents dans le cadre d’une rétrospective consacrée à la Milkyway, Motorway, déjà disponible sur tous supports numériques HK, sortira en DVD et Blu-ray chez Wild Side le 13 février 2013.





