Mr. and Mrs. 55
A bas le MLF.
Mr. and Mrs. 55 est un film charnière dans la filmographie de Guru Dutt. La période qui s’ouvre ensuite sera la plus féconde du réalisateur indien avec trois films considérés comme ses chefs d’oeuvre : L’assoiffé, Les fleurs de papier et Maître, Maîtresse et Esclaves. Dutt, producteur de ce dernier film, n’en réalisera que quelques scènes, et laissera la caméra à son ami et scénariste, Abrar Alvi.
Si élégance et finesse ne sont pas les qualificatifs les plus couramment utilisés pour évoquer le cinéma indien (il possède de nombreuses autres qualités), ils s’appliquent à ce long-métrage et sont la marque de Guru Dutt. Les fleurs de papier se distingue par sa photographie, et Mr. and Mrs. 55 nous offre quelques beaux exemples de cadre dans le cadre. Par ailleurs, certains thèmes fétiches du réalisateur comme celui de l’artiste incompris figurent dans ce film. Des thèmes qui s’illustrent au travers de rôles que Guru Dutt trouve un malin plaisir à s’attribuer. Ici, il joue le rôle de Pritam, caricaturiste quasiment réduit à l’état de clochard.
Les destins d’Anita et de Pritam se croisent sous les gradins d’un stade de tennis. La première, amoureuse d’un joueur de tennis, tente d’échapper à sa tante, féministe militante, alors que le second profitait de l’ombre pour faire sa sieste. Pour lui, le coup de foudre est immédiat, mais sa situation rend les choses biens difficiles. Afin qu’Anita hérite de la fortune léguée par son père, elle doit se marier avant l’âge. Sa tante organise un mariage blanc avec Pritam. "You are a communist" demande la tante, "No, I’m a cartoonist", rétorque Pritam. Seule condition, le divorce devrait intervenir quelque temps plus tard, mais c’est compter sans l’amour...
Qualité que l’on retrouvera dans les films suivants du metteur en scène, les scènes de chant et de danse sont bien intégrées dans le cours du film. Des séquences par ailleurs de toute beauté comme en témoigne celle autour de la piscine, au cours de laquelle les danseuses évoluent sous leurs parapluies au gré du rythme de la chanson, de même que les plongeurs. Par ailleurs, on pourra signaler une chanson magnifique dans une scène de cabaret. (Avis à qui pourra me donner les références de la chanson !)
Autre atout de Mr. and Mrs. 55, la présence de l’inénarrable Johnny Walker (de son vrai nom Jamaluddin Kazi), qui joue l’ami journaliste de Pritam. Un acteur fréquemment utilisé par Guru Dutt dans ses films en tant que contrepoint comique, Walker est considéré par les spécialistes comme l’un des grands talents comiques du cinéma hindi. Une affirmation qui est validée par sa prestation dans ce film. Il est la réincarnation indienne du loup de Tex Avery, alors qu’il poursuit de ses assiduités les jeunes femmes.
La dernière partie du film bascule dans une défense et illustration très réactionnaire du mariage traditionnel à l’indienne. On peut le déplorer, mais je dois avouer que cyniquement et avec le recul de l’histoire, cela m’a fait beaucoup rire. Le summum est atteint après l’enlèvement d’Anita. Pritam la conduit chez sa belle soeur, femme au foyer, qui est très contente de son mariage. Et quand Anita la questionne pour savoir si son mari la frappe, cette dernière sans vraiment répondre, lui fait comprendre que bon de toute façon ils s’aiment, alors...
Mr. and Mrs. 55 est une comédie enlevée sur le mariage qui n’a rien à envier à ses consoeurs occidentales.
Mr. and Mrs. 55 a été diffusé dans le cadre de la rétrospective Vous avez dit "Bollywood" ? à Beaubourg, et est disponible notamment en DVD All Zone chez Yash Raj.

