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Hors-Asie

Mystic River

USA | 2003 | Un film de Clint Eastwood | Avec Sean Penn, Tim Robbins, Kevin Bacon, Laurence Fishburne, Marcia Gay Harden, Laura Linney, Kevin Chapman, Adam Nelson, Emmy Rossum, Cameron Bowen

Un monde de douleur.

Les rues des quartiers défavorisés de Boston. Trois enfants. La chute dans les égouts d’une balle de street hockey que, tout comme leur innocence, ils ne retrouveront jamais. Tel est le point de départ du dernier film de Clint Eastwood, Mystic River, injustement boudé lors de la dernière édition du Festival de Cannes. Un point de départ en forme de cul de sac ; car si le jeune Dave Boyle parvient à s’enfuir après quatre jours d’un enfermement esquissé, suite à son enlèvement par un faux policier, ni lui ni ses deux amis - Jimmy Markum et Sean Devine - ne parviendront à se détacher de cette enfance interrompue. A l’image du prénom de Dave, dont seules les deux premières lettres ont pu être inscrites dans le béton frais ce funeste après-midi, cette introduction aussi courte qu’elle est malsaine et pesante, laisse flotter l’odeur pernicieuse de l’inachèvement sur l’ensemble de Mystic River.

25 ans plus tard, les mêmes rues des mêmes quartiers. Les trois enfants sont devenus autant d’adultes, leur amitié cependant s’est étiolée, réduite à sa plus simple expression : une politesse non dénuée de platitude. Pourtant le destin amène Jimmy (Sean Penn), Dave (Tim Robbins) et Sean (Kevin Bacon) à se rapprocher de nouveau, lorsque la fille de Jimmy, Katie est retrouvée assassinée. Sean est en charge de l’enquête, Dave est un suspect potentiel. Et Jimmy lui, oscille de plus en plus dangereusement entre les deux...

Drame humain à peine maquillé en enquête policière, Mystic River est un film magnifique, effrayant dans son trop plein d’humanité. Très dense, il réunit au sein d’une même histoire plusieurs personnages emblématiques de la mythologie Eastwoodienne. Ainsi Jimmy fait-il écho au William Munny de Unforgiven, dans sa volonté fragile de faire le bien en dépit d’une nature foncièrement vengeresse et destructrice. A l’opposé, Dave revoie au Butch Haynes de A Perfect World (film "négatif" d’Unforgiven), désireux de se voir coupable et mauvais, alors qu’il n’est qu’un enfant blessé, naturellement enclin à faire le bien. Sean quant à lui, cache ses blessures et sa solitude derrière les lunettes de l’Inspecteur Harry ; le silence de la femme qui l’a quitté, le place dans un état de suspension plus explicite encore que ceux de Dave et Sean.

Après une première partie méthodique au cours de laquelle Eastwood crée une inertie de douleur autour de la découverte du cadavre de Katie, Mystic River va prendre son temps pour perdre ses personnages et les ramener, en dépit du bon sens, un quart de siècle en arrière affronter les démons de leur passé.

D’une certaine façon, ce récit d’une enfance brisée revisitée à l’âge adulte se rapproche dans ses mécanismes de bon nombre de romans de Stephen King, dont le plus emblématique restera évidemment It. King lui aussi, inflige aux anciennes amitiés le poids du souvenir, les force à se reconstituer le temps d’un voyage dans un passé "bloquant". Eastwood cependant, choisit de ne pas juger ses personnages, de ne pas leur opposer d’entité négative à proprement parler - en dehors de leur culpabilité - pas plus qu’il ne tente de jouer le jeu d’un quelconque manichéisme. Le destin n’est ni bon ni mauvais, juste ou injuste ; de par sa définition même, il convient juste d’accepter que nul ne peut s’y soustraire.

Mystic River du coup, tiendrait presque du récit religieux ; une impression renforcée par la partition du film, intégralement signée par Clint pour la première fois, aérienne et étouffante. Des chœurs instrumentaux qui participent de cet instant de douleur, figé dans l’espace et le temps, qui met la vie des personnages et de leurs spectateurs en attente.

En l’absence de jugement, Eastwood nous offre au final la possibilité de reprendre notre vie en toute liberté, à l’image de Sean Devine dont le monde de silence est rompu une fois ses fantômes contentés, à leur façon. Mais il est difficile d’oublier la chute symbolique de la balle au fond de cette bouche d’égout, vingt-cinq ans auparavant. Cette bouche dont Dave Boyle dira à son fils qu’elle a englouti toutes leurs balles, et que si quelqu’un parvenait à l’ouvrir il y en trouverait certainement des milliers. Doit-on y voir autant d’enfances brisées, de fantômes abandonnés ?

Mystic River est sorti sur les écrans français le mercredi 15 octobre 2003.

- Article paru le jeudi 23 octobre 2003

signé Akatomy

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