Nagima
Décidément, il ne faisait pas bon être une femme dans la sélection de ce 16ème festival du film asiatique de Deauville (Suneung, Trapped, Mater Dolorosa, Han Gong-ju). Mais vivre de surcroît orpheline et célibataire au Kazakhstan vous laisse très peu d’espoir, selon Zhanna Issabayeva. A l’issue de la courte (1h17) mais efficace projection, on ne peut qu’acquiescer, tout retourné.
Nagima vit, avec son amie Anya, enceinte, dans un taudis des abords d’Almaty, la plus grande ville kazakh. Lorsque la santé d’Anya, non suivie médicalement, se détériore, la routine de Nagima est perturbée. Seule Ninka, la prostituée voisine, lui vient en aide…
Si Nagima montre une heure durant le combat d’une femme à qui rien (ni personne) ne sourit, un certain fatalisme règne dès le début du film. Pire que triste, le visage sans expression de Dina Tukubayeva, ainsi que le bourdonnement permanent des mouches autour d’elle, véhiculent l’impression que Nagima est déjà morte. Cette sensation est renforcée par l’image d’un pays qui n’est montré qu’au travers de paysages arides et dénudés, ou de déserts urbains nocturnes. Destins d’une héroïne ou d’un pays gangrené, Issabayeva n’y croit plus. Forcer cette conviction sur le spectateur dès les premières images affermit le désespoir dans lequel se débattent ses personnages. Un parti pris bien exécuté mais difficile à supporter, jusqu’au final particulièrement choquant.
La réalisatrice assume jusqu’au bout ce qui est évidemment un brûlot percutant contre l’image et la position des femmes au Kazakhstan. Orphelines et célibataires, ce qui - comme le film le rappelle - ne semble pas rare dans le pays, elles sont véritablement oubliées de tous ainsi que du système (« les lois ne sont pas faites pour elles »). Cette aliénation sociale est marquée à l’écran par leur isolement dans ce bidonville crasseux, exclusivement féminin, mais surtout par la quasi-absence des hommes dans le film. Ce désintérêt complet, pesant, est marqué par une des plus belles scènes du film, au cours de laquelle Nagima supplie un épicier blasé de lui dire qu’il l’aime, même faussement. Le film pourrait-il être la même demande d’Issabayeva à son pays ?
Il est en tout cas, dans sa forme, à l’image de son personnage principal : austère. Sans fioritures, sobre dans ses dialogues, ses effets ou sa musique, il porte un aspect presque documentaire. La caméra est statique la plupart du temps (sauf pour le plan final, en forme d’évasion), à hauteur d’homme (de femme) permettant une observation pudique, factuelle, des conditions de vie des protagonistes. L’image est surexposée, brutale, l’économie de moyen et de temps renforçant l’intensité du propos. Le jeu des actrices, et en particulier de Dina Tukubayeva, est minimaliste, même si se dégage de Nagima une présence un peu magnétique. On en oublierait presque qu’elles jouent (elles sont d’ailleurs pour la plupart elles-mêmes orphelines). Parfaitement crédibles cependant, elles permettent presque de comprendre l’inconcevable, le choc final.
De la première à la dernière image, Nagima est une expérience traumatique presque trop longue malgré sa durée courte. Assumée sur le fond et dans la forme par sa réalisatrice, elle enferme le spectateur dans le désespoir de son héroïne mort-vivante, au sein d’un monde vidé de ses couleurs et de ses émotions. Une oubliée que, longtemps après la séance, on n’oublie pas.
Nagima a été présenté au 16ème Festival du cinéma asiatique de Deauville (2014), où il a remporté le Lotus du meilleur film.



