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Japon | Festival du film asiatique de Deauville 2011 | Rencontres

Naoki Hashimoto, Sayoko Oho & Miyu Yagyu

"J’avais envie de filmer ces moments où quelque chose dérape."

Birth Right était assurément l’un des moments forts de la treizième édition du Festival du film asiatique de Deauville. Rencontre avec son réalisateur, Naoki Hashimoto, et les deux jeunes actrices du film, Sayoko Oho (Mika) et Miyu Yagyu (Ayano).

Sancho : Avant de la projection, vous avez commencé par un avertissement un peu inhabituel : vous avez prévenu le public que vous ne faites pas de cinéma de divertissement. Est-ce qu’on peut y voir une critique plus ou moins implicite du cinéma japonais contemporain, qui est quasiment exclusivement tourné vers le divertissement ?

Naoki Hashimoto : La première chose c’est que, effectivement, j’ai dit que ce film-là n’était pas un film de divertissement, ce qui ne veut pas dire qu’à l’avenir je ne participerai pas à des films de ce type. Ensuite, je pense que l’on pourrait définir le divertissement comme quelque chose d’agréable. C’est-à-dire qu’on va voir un film, on en ressort, on en discute avec des amis, des collègues, en buvant un verre ou un mangeant, et le lendemain on l’a déjà presque oublié et on voit un autre film qui fait que l’on oublie le précédent. Hors moi, je ne fais pas de film tous les mois, j’en tourne un tous les deux, trois ans, c’est quelque chose qui me demande énormément d’investissement et d’effort. Pour celui-ci, avec les deux actrices, on a vraiment énormément donné de nos personnes, et du coup j’ai vraiment envie que le film marque les gens, qu’il reste réellement imprimé au fond d’eux-mêmes, voire, dans le meilleur des cas, qu’il puisse quasiment changer leur vie. Voilà : la définition du divertissement ne correspond au film que j’ai fait là, c’est tout.

C’est effectivement un film à l’effet durable, qui est assez radical. Il y a toujours eu des films radicaux au Japon, mais souvent de façon plus graphique ou qui satisfont des fétichismes bien particuliers. Birth Right lui, est très radical sans satisfaire aucun fétichisme, en restant relativement mainstream même. Une telle approche n’était-elle possible qu’au sein de votre propre société de production, ou aurait-il été possible de monter le film autrement, dans l’industrie japonaise d’aujourd’hui ?

Effectivement, le film est radical, extrême. Pour moi, c’est une qualité, c’est quelque chose qui est important et auquel je tiens absolument. Il se trouve que, quand on veut faire un film de ce type-là, c’est quand même mieux de travailler tout seul, dans la mesure où, quand on travaille en collaboration avec des sociétés ou des producteurs, on est forcément obligé de prendre en compte leur avis, et de fait le film se nivelle ; c’est-à-dire que comme il faut intégrer l’avis de tout le monde, on obtient au final un produit qui est assez moyen. Comme dans les autres formes d’art, il vaut mieux confier la créativité à une personne : si une personne peut être à l’origine de l’idée, je pense que c’est mieux. C’est le cas dans la musique, par exemple, pour les compositeurs, ou c’est le cas dans l’art plastique, l’art contemporain. Il n’y a que le cinéma où l’on est obligé de travailler en étant le maillon d’une chaîne, et si on peut faire différemment je pense que c’est mieux. Parce que si on fait des films moyens, ceux-ci sont vite oubliés. Comme je le disais toute à l’heure, pour moi le fait d’être extrême est important, et il faut donc trouver un arrangement pour pouvoir travailler dans ce sens.

Une des raisons pour lesquelles le film m’a beaucoup plus – et c’est une remarque que l’on se fait souvent entre nous – c’est qu’il y a beaucoup de films aujourd’hui qui sont dans une hyper réalité et font très peu confiance à leurs silences, et l’une des très grandes forces de Birth Right est sa violence en creux, par l’omniprésence du silence.

Il se trouve que vous avez vu le film en salles, et que du coup vous avez sans doute perçu l’importance de ces silences. Est-ce que vous pensiez que ç’aurait été la même chose si vous aviez vu le film en DVD ?

Oui, certainement, parce que j’essaye de me mettre dans les mêmes conditions qu’au cinéma, et que je suis à la recherche de ces moments dépouillés, qui sont précieux parce qu’ils sont rares…

Vous êtes peu nombreux dans votre cas.

C’est pour ça que vous avez dit que votre film est fait pour être vu en salles ? Parce qu’en vidéo, il y a des interférences extérieures qui font que le silence ne prend pas pareil ?

La plupart des films qui sont produits aujourd’hui sont des films qui doivent être visibles à la fois en salle et à la maison. Et donc il y a des bandes sons qui sont assez denses, de façon à ce qu’il y ait quand même un rendu sur petit écran. C’est pour ça qu’en effet, je disais hier que c’est un film qui se voit en salles parce que sinon, la différence entre le silence absolu et les bruits de fond très légers comme la mer, le vent – on entend même, par exemple, le bruit de la pluie – disparaît. Ce sont des bruits que l’on n’entend plus si le son est diffus, étouffé, ou parasité par d’autres bruits. Le silence est d’autant mieux perçu dans des conditions de cinéma.

Il y a du coup une restreinte au niveau du jeu des actrices qui est presque contradictoire ; d’habitude le jeu passe autant par l’expression corporelle que par le langage, et vous êtes presque privées de tout ça pendant l’intégralité du film. Qu’est-ce que ça a représenté, pour vous, de travailler ainsi dans le silence et l’immobilisme ?

Sayoko Oho : Ca a été un rôle difficile. Je pense que Mika a une palette d’expressions très limitée. C’est une fille qui ressent énormément de choses mais qui ne les exprime pas, ne les transmets pas. Donc il fallait que ce soit un personnage très énigmatique dont on ne perçoive pas grand-chose, mais il fallait quand même qu’on puisse percevoir les légères variations au niveau des émotions qu’elle ressentait. Si habituellement la mesure des sentiments humains pourrait se faire de 5 centimètres en 5 centimètres, là il fallait que je joue dans des mesures beaucoup plus petites, en millimètres voire en micromètres. Il fallait qu’un regard suffise, qu’un battement de cils suffise à faire ressentir ses émotions.

Il y a tout un dispositif qui est mis en place dans le film – le silence, l’obscurité, un lieu unique – qui nous permet de percevoir cela. Avez joué, au cours du tournage, de cet enferment, de ce silence pour que les actrices aient plus de facilité à créer cette émotion, l’immobilisme, et cette fatigue progressive chez la victime ?

Sayoko Oho : Les conditions étaient en effet réunies pour que ce soit assez réaliste. On a été enfermé dans cet entrepôt, dans cette pièce qui était absolument hermétique au vent, à la lumière, et on n’en n’est pas sorti tout le temps du tournage. Ce qui fait qu’on ne vivait plus vraiment comme des êtres humains. On a à peine mangé, on était dans des conditions d’extrême fatigue et d’extrême nervosité, ce qui, je pense, se voit assez bien à l’écran. iil y avait au moindre moment la possibilité qu’on s’évanouisse – d’ailleurs on a un peu perdu connaissance parfois…

Miyu Yagyu : Oui, je me suis évanouie !

Ca a donc dû être un tournage difficile…

Sayoko Oho : Je pense que si ça n’avait pas été du travail, jamais on n’aurait tenté l’expérience…

Naoki Hashimoto : Ça paraît évident ! (les trois rient)

Miyu Yagyu : Mais on n’était pas toutes seules à subir ces conditions draconiennes, puisque le réalisateur est venu avec nous ; lui-même n’a pas mangé, est resté enfermé… C’est un peu le même principe que Mika et Ayano : Mika kidnappe Ayano et la garde enfermée, mais elle vit dans les mêmes conditions qu’elle, ce qui fait qu’Ayano ne peut pas vraiment la blâmer. Ca a un peu fonctionné de la même manière entre le réalisateur et nous.

C’est ça qui est assez étonnant et qu’on ressent dans le film : cet engagement de tout le monde. On garde la victime emprisonnée, elle ne mange pas et ne boit pas, mais le bourreau non plus, et on peut imaginer que pour vous ça a dû être la même chose, sans quoi ç’aurait été encore plus difficile de faire subir ça à deux jeunes actrices…

Naoki Hashimoto : Je ne culpabilise pas du tout de leur avoir infligé ça (rires). Pour moi, ce n’est que ce qu’on appelle se préparer au rôle, je pense que ça fait partie du travail des acteurs et des actrices. Il se trouve que là on travaillait sur l’enfermement. Il me semble que ni elles ni moi n’avions vécu ça de notre vie, évidemment, et je n’imaginais pas qu’on puisse tourner une scène sans savoir de quoi on parlait. Du coup, ça me semblait normal qu’on travaille dans ces conditions-là. On me pose souvent la question de savoir comment ces scènes ont été tournées ; quand je réponds que, pendant 5 jours, on a à peu près vécu en conditions réelles et en temps réel ce qui se passe à l’écran, les gens ont un peu tendance à me fustiger. En même temps, ce n’est pas un documentaire. Ça peut en avoir l’air, c’est extrêmement réaliste, d’autant que les conditions l’étaient aussi, mais on suit un scénario qui est très écrit, dans lequel il n’y a aucune place pour l’improvisation, et, pour moi, c’est un des points forts du film. Avoir l’air si réaliste, avoir été tourné dans des conditions si réalistes, et en même temps être une fiction. Du coup il n’y a pas de culpabilité à avoir. Je leur ai toujours dit qu’elles devaient s’arrêter avant que ça devienne trop difficile – ce qu’elles ont fait je pense – et on est assez content du résultat.

Ce n’est pas la première fois au Japon, que le sujet de l’abandon d’enfant donne naissance à une œuvre radicale – je pense aux Bébés de la consigne automatique, même s’il est plus foisonnant. Est-ce que c’est un sujet personnel ? Une problématique sociale réelle ?

Je n’ai pas fait le film pour une histoire de « mode ». Il est possible que vous ayez déjà vu d’autres films traitant du même sujet ; il se trouve qu’au Japon c’est de plus en plus fréquent – pendant le tournage, on a vu aux informations des enfants qui avaient vraiment été abandonnés dans une décharge. C’est un phénomène social qui est de plus en plus courant. On n’a pas essayé de surfer sur la vague, mais c’est un matériau qui se présentait, de par la fréquence du phénomène. Je ne me suis pas dit que si j’articulais mon scénario autour de ce thème, le film allait nécessairement marcher au vu de ce qui se produit en ce moment. J’avais surtout envie de filmer, peut-être, le fait d’avoir des actes absolument inconsidérés ou imprévisibles. Dans la dernière scène par exemple, où Mika voit Ayano et sa mère se frotter leurs visages l’un contre l’autre, elle finit par appeler sa mère ; je pense que c’est quelque chose qu’elle n’avait pas forcément prévu de faire, mais il se trouve qu’elle n’a pas pu s’en empêcher. Il y a quelque chose de plus fort qu’elle qui est sorti à ce moment-là. Ce qui m’intéressait c’était de filmer ça. Tout ce qui a lieu avant – l’enfermement, le fait que ce soit une enfant abandonnée, etc. -, n’avait pas tellement d’importance. J’avais envie de filmer ces moments où quelque chose dérape, quelque chose d’imprévu se passe, d’un point de vue psychologique.

De laisser la place à la naissance d’une émotion – comme vous voulez le faire pour le spectateur...

Ce n’est pas forcément la naissance d’une émotion. On se dit tous, chacun, qu’il y a des choses que l’on ne ferait certainement pas, quelles que soient les conditions. Moi je pense qu’on ne peut jamais savoir. Il y a toujours des circonstances dans lesquelles on se retrouve... De la même manière que Mika n’imaginait pas avoir un jour de l’amour pour cette mère, moi je me dis, là, en ce moment, qu’à sa place jamais je n’irais la voir, jamais je ne m’exposerais à elle. Il se trouve qu’on ne peut pas prévoir ça. C’est cette incompréhension vis-à-vis de soi, cette surprise que l’on peut avoir vis-à-vis de soi qui m’intéressait.

Merci beaucoup. Votre engagement à tous les trois se ressent, et provoque assez facilement, de façon hypnotique, l’engagement du spectateur. Donc, bravo !

Je suis très content, merci. Par contre je trouve qu’elles surjouent encore un peu par rapport à ce que j’avais prévu. (rires)

Propos recueillis le samedi 12 mars 2011 au CID de Deauville.
Remerciements à Clément Rebillat et l’équipe du Public Système, ainsi qu’à Lea Le Dimna pour la qualité de sa traduction.
Photos : Kizushii.

- Article paru le vendredi 1er avril 2011

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