Natural City
Quelque part dans le futur, à proximité des ruines du passé, au sein de Natural City, mégalopole high-tech vivant sous la promesse d’une planète-paradis, où chacun pourra délaisser ses souvenirs... L’homme est assisté de cyborgs ; ceux-ci pouvant remplir aussi bien des fonctions professionnelles, que domestiques ou de combat. L’attachement aux hommes- ou femmes-machine est déconseillé, puisque chaque création possède une date de péremption, à proximité de laquelle son fonctionnement se dégrade, avant une mort certaine. Parmi les cyborgs, il y en a des « déviants », qui souhaitent protéger leur existence et se retournent contre les hommes pour tenter d’aller au-delà de leur date limite. Les membres de la MP - Military Police - sont alors chargés de les traquer et de les exécuter, pour les envoyer à la casse. La destruction de leur puce d’IA (Intelligence Artificielle) est obligatoire pour y parvenir, mais certains tentent tout de même de les laisser intacts, pour les revendre sur le marché noir. Ainsi R (Yoo Ji-tae), MP qui s’est épris de Ria (Seo Rin), cyborg-danseuse à laquelle il ne reste plus que quelques jours d’existence. Le soldat rachète tout de même le cyborg, et convoite l’aide d’un scientifique capable de réaliser des transferts d’ADN, à même de transplanter la personnalité de Ria dans un corps humain - à condition de trouver un hôte compatible. Il se trouve justement que la jeune Cyon (Lee Jae-eun), prostituée des ghettos, possède un ADN semblable à celui généré par Ria. R doit donc lui mettre la main dessus s’il veut pouvoir donner corps à son amour. A moins que Cypher, cyborg de combat qui s’est rebellé quelques jours avant son expiration, et qui s’oppose à R et ses collègues, n’y arrive avant lui... Noma (Yoon Chan), supérieur de R et accessoirement ami, regarge le soldat naviguer entre la légalité et la contrebande, entre son devoir et ses désirs ; au péril peut-être, de la survie de Natural City...
Réalisateur de l’incroyable Phantom the Submarine, Min Byung-chun faisait en 2003 son retour sur les écrans coréens quatre ans après celui-ci, à la tête du budget collossal de Natural City. Hommage à Blade Runner influencé par le spectre complet des cultures populaires, de l’anime japonais à Matrix, Natural City est une merveille esthétique qui est aussi, n’en déplaise à ses innombrables détracteurs, une véritable réussite formelle. Réminiscent de la démarche « terminale » de l’excellent Wonderful Days tout en reproduisant l’inertie brutale qui était au cœur de Phantom the Submarine, Natural City parvient sur des bases connues, à se construire une personnalité propre et passionnante.
Cette personnalité est duale, composée des facettes presque opposées que sont celles de R et Ria, qui se rejoignent pourtant au travers d’un désir commun - d’aimer, de vivre. Brutal et impulsif pour R, même s’il tend au calme qu’il vit régulièrement avec Ria, par simulateur interposé ; silencieuse et douce, presque diaphane pour la danseuse « en extinction », miroir de la fleur-tamagotchi à laquelle elle est attachée, désormais incapable de resplendir. A l’instar de ce couple, centre de l’histoire du film, Natural City navigue entre la violence et l’émotion, nourissant à son terme la première de la force de la seconde. La beauté de Ria - troublante Seo Rin -, exposée de façon quasi-contemplative, trouve un parfait contrepied dans les phases d’action du film, dotées d’une inertie et d’une volonté destructice effrayantes.
Empruntant à Blade Runner le gros de sa narration, Natural City en est cependant une relecture étonnante, puisant son intérêt dans ce qui représente certainement aux yeux de la majorité ses lacunes. Comme Wonderful Days en effet, Natural City se paye le luxe de rester incomplet, de ne commencer qu’alors que son histoire est jouée, de se défaire d’un premier acte explicatif en faveur de son seul dénouement. Beaucoup de ses idées ne sont qu’esquissées, mais ce sont justement ces bribes, ces esquisses - des détails pour la plupart - qui polissent la brutalité, le côté sec du second film de Min Byung-chun. Alors que leur développement aurait abouti à un film certes plus grand public, plus lisible mais aussi trop classique, Natural City se tranforme ainsi en film simple et unique, laissant la majeure partie de son intrigue en creux pour décomposer la douleur de R et de son amour condamné, en autant de conséquences destructrices. Le dernier combat renvoie à ce titre directement à l’affrontement de Phantom the Submarine, parfaitement barbare et nihiliste.
Je ne peux donc que regretter le sort, critique et commercial, qui a été celui de Natural City. Plus encore que l’hésitant Yesterday - dont les aspects positifs compensent tout de même à mon avis largement les négatifs - Natural City est un film de science-fiction remarquable. Reprenant son schéma narratif, il jouit de la même puissance que Wonderful Days, et constitue de plus un véritable festival d’images et de technique maitrîsée. Même ses séquences d’actions sont magnifiques, jouant plus sur la vitesse restituée que sur une volonté de lisibilité, lorgnant finalement plus du côté de Time and Tide que de l’inspiration, évidente, de l’édifice Matrix. Il troque au final habilement, l’ampleur d’un blockbuster aux possibilités nombreuses, contre l’intérêt d’une histoire simple, au coeur des amorces de ces possibilités. Il devient ainsi plus tangible, presque réel... J’espère donc qu’il sortira un jour du ghetto des films maudits, pour rejoindre le panthéon des grans films sous-estimés ; il y trône de toute façon déjà à mes yeux !
Natural City est encore disponible en DVD coréen, dans une édition double présentée dans joli fourreau métallique. L’édition est de plus sous-titrée en anglais (avec quelques fautes, malheureusement), et la copie est magnifique et assourdissante. Et puis je crois bien qu’il est aussi disponible en Angleterre et aux USA... alors n’hésitez plus !






