Natural Woman
Hirohisa Sasaki est une personnalité pour le moins étrange. Oeuvrant principalement - quoique fort irrégulièrement - dans le cinéma décalé, il y est capable du meilleur (Crazy Lips) comme du pire (Psychic School Wars). Par conséquent, quelle ne fut pas ma surprise de découvrir, aux prémisses de sa filmographie, l’adaptation du roman érotique tourmenté de Rieko Matsuura, Natural Woman - avec Kaori Shimamura et Tamaki Ogawa qui plus est !
Natural Woman le livre, met le lecteur aux prises avec les amours lesbiens pour le moins contrariés de la jeune Yôko, dessinatrice de manga adepte du "souiller ou être souillée", qui ne parvient pas à se remettre de sa relation violente avec une autre mangaka underground, Hanayo. Le roman de Rieko Matsuura est divisé en trois parties qui s’attardent sur autant de moments de la vie de sa narratrice, rythmées soit par la présence, soit par le souvenir ou la perte de son amour antagoniste pour le personnage de Hanayo.
Natural Woman le film, "simplifie" quelque peu la donne. Le scénario de cette adaptation très libre mélange non plus trois mais seulement deux époques de narration. Dans la première - qui correspond au présent - Yôko (Kaori Shimamura) vit un amour platonique pour Yoriko, collègue de travail temporaire et boxeuse wannabe avec qui elle ne parvient pas à développer de relation sexuelle, en raison de son obsession pour celle qui a disparu de sa vie - Hanayo (Tamaki Ogawa). La seconde époque, omniprésente car démesurément influente sur le présent, relate les étapes de la relation destructrice qui a "uni" pendant quelque temps Yôko et Hanayo. Le troisième axe relationnel Yôko-Hanako, très présent dans le roman est quant à lui absent de cette version cinéma ; nous verrons que ce n’est d’ailleurs pas la seule distance que le film prend avec le roman.
Le film s’ouvre sur des images oniriques de Yôko, paisiblement allongée, sur le point d’être étranglée. Cette séquence si elle est rêvée, n’en est pas moins bien réelle sous la forme d’un souvenir - et ce d’autant plus qu’elle hante à la fois la conscience et l’inconscient de notre héroïne. Ce n’est pas pour rien que Hirohisa Sasaki a choisi de commencer son film par cette emprise du passé sur le présent, nous montrant Yôko se réveiller aux côtés de Yoriko sans être un seul instant avec elle. Alors que la jeune femme s’apprête à dessiner, la chute d’un tiroir qu’elle tente d’ouvrir va renforcer encore la plongée dans un passé douloureux, symbolisé par la (re)découverte d’un mouchoir blanc légèrement tâché de sang.
Tout au long de Natural Woman, c’est ainsi que l’on perçoit la relation qui oppose plus qu’elle n’unit Yôko et Hanayo. Yôko la masochiste semble pure et trop douce ; la trompeuse Hanayo à ses côtés, fait figure d’une merveilleuse tâche écarlate à même de salir Yôko, de ternir sa blancheur. Alors que, dans le temps présent, Yôko et Yoriko avancent vers la compréhension de l’ "impuissance" de l’héroïne, Yôko se replonge dans cette relation passée sans cesse plus violente et insaisissable - jusqu’au point de rupture, atteint lorsque la narration rattrape le rêve d’ouverture, initialement présenté dans les tons écarlates : la couleur rouge a alors terni l’ensemble de la relation de Yôko et Hanayo.
Hirohisa Sasaki a choisi de réviser à la fois le point d’entrée et celui de sortie de Hanayo dans la vie de Yôko. Son arrivée tout d’abord, est certainement plus explicitement contradictoire que dans le roman de Matsuura : après un premier contact très clairement dominant (au sens sado-masochiste du terme), Hanayo célèbre sa rencontre avec sa nouvelle victime, passant du mépris violent à la séduction ambiguë. D’une façon nettement plus brutale, le réalisateur a aussi revu avec l’aide de la romancière, la conclusion de cette histoire d’amour. Si celle du film, plus radicale, paraît plus violente que celle du livre, elle offre cependant une véritable ouverture, plus immédiate, pour le personnage de Yôko, ainsi que pour sa relation avec Yoriko - mais je ne vous la révèlerais pas ici.
Moins terne, complexe et explicite que dans sa forme papier (quasi-pornographique par moments), le film de Sasaki est en quelque sorte le substrat réinterprété du roman de Matsuura. Superbement réalisé, jouant sur une opposition de lumière (les séquences entre Yôko et Yoriko) et d’intérieurs sombres (la quasi-totalité de celles entre Yôko et Hanayo), Natural Woman jouit de plus des performances très authentiques de ses deux magnifiques actrices principales, Kaori Shimamura (XX : Beautiful Beast, Junk) et Tamaki Ogawa (Samurai Fiction, Stereo Future). Une forme visuelle, à la fois condensée et complémentaire du roman, qui n’est pas sans rappeler d’une certaine façon le lien qui unit le Crash de J.G. Ballard à celui, autrement plus maîtrisé de David Cronenberg. Autant vous dire que cette dernière phrase résume parfaitement tout le bien que je pense du Natural Woman de M. Sasaki.
Natural Woman - le film - est disponible en DVD Zone 2 NTSC au Japon, chez KSS Films. La copie est belle, au format mais non-anamorphique, sa bande-son stéréo. Le DVD ne comporte qu’un trailer pour supplément... et malheureusement aucun sous-titres.
Natural Woman - le livre - est disponible dans une traduction française aux éditions Picquier Poche.



