Necromentia
La vie n’habite plus ici.
Pigman. Si vous faites une recherche sur Necromentia sur Internet, il y a fort à parier que ce singulier personnage ressorte comme l’élément le plus marquant de cet hommage à Clive Barker signé Pearry Tao (The Gene Generation, avec Bai « the Nipple Queen » Ling). Un homme ventripotent, torse nu à l’exception de quelques fils barbelés et coiffé d’un masque de cochon, qui hante un handicapé misérable de son karaoké pro-suicide, rythmé à l’écran par une balle bondissante incroyablement déplacée. Un tour de force dans le domaine du sordide, singulièrement obsédant, qui se dispute un gâteau d’une noirceur éprouvante avec les autres motifs de Necromentia que sont la claustrophobie, la culpabilité, la souffrance volontaire, la scarification, la torture et la nécrophilie. L’enfer, terminus. Tout le monde descend.
Résumer un film gigogne comme Necromentia paraît bien délicat. Je pourrais, comme d’habitude, vous exposer les premières scènes du métrage, vous présenter Hagan et sa défunte compagne Elizabeth, engoncée dans une sorte d’exo-squelette pendant que son petit ami surveille, inquiet, l’avancement de son délabrement post-mortem. Je pourrais vous expliquer que Hagan lui parle, la nettoie, inspecte son intimité hors-champ, le tout dans la hâte que sa belle revienne d’entre les morts avant que son corps ne cède à la putréfaction. Mais ce sombre tableau ne rendrait aucunement justice au cœur malade de Necromentia, à l’histoire de Travis, qui débarque d’on ne sait où pour scarifier Hagan d’une représentation d’un Ouija afin de l’expédier littéralement en enfer chercher Elizabeth ; ni à son travail au sein d’une certaine Red Room où il torture des volontaires désespérés pendant que son frère handicapé, muet dans son fauteuil roulant, passe ses journées devant un téléviseur en panne. Et quand bien même ; j’oublierais alors encore l’inquiétant Morbius, et ne pourrais vous dévoiler le lien qui réunit, au bout du compte, ces trois hommes, sans vous gâcher le « plaisir » de la découverte du film.
Si je mets le mot plaisir entre guillemets, c’est parce que ce cauchemar à rebours n’est à aucun moment véritablement agréable. Habile triptyque à la narration inversée, qui économise en mots et justifications ce qu’il distille en malaise et nihilisme, Necromentia se fait fort de vous plonger délicatement la tête sous une eau croupie dès ses premières images, pour ne jamais relâcher la pression. Pourtant, les lieux exploités par Pearry Tao se comptent sur les doigts d’une main (avant amputation), tout comme les personnages et les véritables actions du film. Son enfer n’est qu’un simple couloir, en bichromie ou presque, aux extrémités plongées dans l’obscurité du néant et arpenté par une créature parente des Cénobites de Hellraiser ; ses cadres sont limités et les effets graphiques peu présents. C’est bien simple, si l’on excepte quelques inserts déstructurés très tendances, Necromentia est l’un des films les plus sobres et restreints qu’il m’ait été donné de voir depuis longtemps. Comme si Pearry Tao s’adressait à nous depuis l’obscurité, d’une voix monocorde, sans jamais varier la fréquence insidieuse de sa perversité, désireux de nous plonger dans la contemplation, somnolente et infectieuse, de quelques clichés morbides. Et de nous laisser y déceler l’absence de lumière naturelle ; et donc de vie.
C’est de cette hypnose sobre et détestable que Necromentia tire toute sa force. Perry Tao transforme un manque de moyens en atout, fait de chaque horreur, qu’il déploie ou suggère, une banalité crasse, et prend ainsi notre voyeurisme en défaut. Sa vilénie à rebrousse poil réussit à ne jamais incarner un conte rétroactif, et échappe donc à la main mise d’un twist pourtant bien présent. Telle une litanie, sa narration volontairement terne et uniforme nous empêche de percevoir l’aplomb de l’inclinaison descendante qui menace d’emblée la naïveté de notre humanité, aucune variation dans le discours ne venant briser son artifice. Ce faisant, Necromentia parvient à transmettre, sans jamais énoncer clairement les règles qui la régissent, la menace d’un enfer tri-personnel, fauché mais incroyablement cohérent, qui pourrait bien, somewhere down the line, devenir le nôtre. Au secours !
Necromentia est notamment disponible en DVD zone 2 UK, sans sous-titres. Il sortira par ailleurs dans l’hexagone le 1er avril 2010 - une bonne blague à faire à vos amis les plus timorés, c’est certain - grâce à la bienveillance d’Action et Communication.




