Sancho does Asia, cinémas d'Asie et d'ailleurs
Hors-Asie

Never Let Me Go

USA / UK | 2010 | Un film de Mark Romanek | Avec Carey Mulligan, Keira Knightley, Andrew Garfield, Charlotte Rampling, Sally Hawkins, Nathalie Richard

Nous passons un certain temps dans les pages de Sancho, à nous plaindre de la durée excessive de bon nombre de films contemporains. Pour une fois, je tiens à exprimer le grief inverse : Never Let Me Go, l’adaptation par Mark Romanek du chef-d’œuvre de Kazuo Ishiguro (paru en France sous le titre Auprès de moi toujours), est à mon sens un film trop court. On pourrait voir dans ce constat une réussite du métrage, de parvenir à créer un manque chez le spectateur en phase avec l’impossibilité de repousser éternellement la mort, l’un des cœurs de l’histoire ; ce n’est pourtant pas tout à fait le cas. En condensant en trop peu de scènes l’enfance de ses protagonistes, le réalisateur omet de tisser les liens, à la fois tendres et cruels, qui les définissent, et révèle trop tôt la réalité de leur condition, évidence à mi-mot qui conditionne le style du roman d’origine, entre conscience implicite et énonciation interdite, secret de polichinelle doux-amer.

L’école de Hailsham, Kath, Ruth et Tommy, les œuvres d’arts qui concourent pour l’accès à la galerie d’une « Madame » extérieure à l’établissement... Il est impossible d’évoquer l’histoire, du roman comme du film Never Let Me Go, sans la gâcher au moins en partie, uchronie à la fois délicate et sordide démarrant dans un pensionnat anglais des années 60, dans laquelle les notions d’accompagnement, de prélèvement, de terminaison, prennent le pas sur celles d’amitié, partage et mort, incarnant un cycle de vie prédéfini qui n’a plus rien à voir avec l’enchaînement enfance, adolescence, âge adulte. Un cycle dans lequel la sexualité intervient trop tôt, par extension du mimétisme qui conditionne l’appartenance au monde extérieur, dans lequel le « possible » reste éternellement hors de portée, et où l’art n’a peut-être pas sa place...

Cette dernière considération est certainement l’une des traces les plus évidentes de l’auteur Ishiguro, qui dans bon nombre de ses romans évoque le rôle de l’artiste et de l’art, sa place dans la société. Dans Never Let Me Go, il n’est pas nécessaire d’étudier la responsabilité de l’art, de juger sa qualité, mais simplement de constater son existence, comme incarnation irréfutable de l’humanité. Car l’objectif de Never Let Me Go est bien d’affirmer l’humanité de Kath, Ruth et Tommy, trois enfants précipités adultes, incapables – ou plutôt empêchés - de s’exprimer dans un parcours contraint et borné. Et, discrètement, d’affirmer la nécessaire destruction de cette humanité artistique, de l’expression du ressenti, pour le bon accomplissement d’un destin exclusivement au service des autres... J’espère rester assez mystérieux pour vous donner envie de découvrir le livre, le film ou même les deux par vous même.

Si Carey Mulligan brille dans le rôle Kath, raisonnée et résignée, spectatrice de sa propre vie qui saisit les enjeux de Hailsham sans jamais les exprimer, accepte de conditionner sa personnalité à la souveraineté de l’institutionnalisation ; on regrette que l’adaptation contraigne les incarnations de Keira Knightley et Andrew Garfield. La première est réduite à son statut d’obstacle à l’amour véritable, peste plus futile qu’à l’écrit, le second largement privé de ses colères explosives, réduit à un corps insaisissablement malade... La faute à l’impasse faite sur l’enfance (les acteurs enfants étaient pourtant bien choisis), et donc sur le lien complexe, entre amitié et concurrence, qui unit et éloigne Kath et Ruth ; Tommy, instable, quelque part entre les deux, le plus humain de tous... Alex Garland, scénariste qui signe l’adaptation, a pourtant plutôt l’habitude de s’empêtrer dans ses conclusions (28 jours plus tard, La Plage), pas dans ses mises en place.

Pour autant, Never Let Me Go est loin d’être un mauvais film. Même s’il dévoile trop vite son secret, se défait de son enseignante délatrice de façon trop abrupte, personnage sacrifié sur l’autel de la simplification narrative, il évite de trop repréciser les choses, en accord avec cette constatation de Ruth à propos de l’une des réalités des enfants de Hailsham : « Nous le savons tous, mais nous ne le disons pas ». Peut-être que ce jeu d’implicites était trop dur à tenir sur la longueur à l’écran, sans donner au spectateur l’impression de le prendre pour un idiot... Le film a au moins le mérite de fixer certaines idées d’Ishiguro, de concrétiser une ambiance, de donner un visage parfaitement adapté à sa voix narratrice. Et c’est justement parce que la réalisation est splendide, Carey Mulligan silencieusement déchirante, les images touchantes, un peu ternes et traversées de ce filigrane de tristesse qui parcourt les pages du roman ; que l’on regrette que Never Let Me Go ne soit pas plus conséquent, plus manipulateur... Plus romanesque, finalement. En l’état, il incarne en quelque sorte le souvenir du roman de Kazuo Ishiguro : à proprement parler, une image.

C’est l’avantage des films estampillés "Hors-Asie" : Never Let Me Go est disponible partout, en DVD, Blu-ray, et que sais-je encore.

- Article paru le lundi 21 avril 2014

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