Night Time Picnic
C’est la fin de la scolarité pour Takako et ses amis et, comme chaque année, c’est le festival de la marche qui préfigure la conclusion du cycle estudiantin. Sur 24 heures, les mille et quelques élèves de leur établissement vont parcourir 80 kilomètres avant d’attaquer leurs examens. Avant de tourner la page, Takako s’est fait en elle-même un pari : adresser enfin la parole à Yui, dont tout le monde pense qu’elle est amoureuse, et vice-versa, alors que les deux adolescents partagent un autre lien secret, du sang, à la fois plus simple et plus complexe. Un père, légitime pour l’un, un peu moins pour l’autre.
Il y a quelque chose d’un diptyque de la part du réalisateur Masahiko Nagasawa (Seoul, Thirteen Steps), dans la succession de Night Time Picnic à Way of Blue Sky. Bien que les deux films soient parfaitement indépendants, il est en effet troublant de constater à quel point il se croisent et se complètent. Alors que Way of Blue Sky s’attachait à dépeindre la fragilisation anticipée du cycle scolaire – et donc, d’une certaine façon, de la jeunesse – au travers du départ annoncé de son héros, Masaki Takahashi, pour les Etats-Unis, Night Time Picnic est traversé de l’absence d’Anna, amie de Takako qui a quitté le Japon pour New York un an avant la fin de sa scolarité. Tandis que Masaki souhaitait déclarer sa flamme secrète avant de quitter le groupe d’amis dont il était un pilier, Anna s’en est allée en gardant ses sentiments pour elle, laissant ses camarades dans un flottement que son petit frère, trublion d’une ponctuation en forme de double marathon, va s’efforcer de régulariser, perçant involontairement l’abcès qui sépare Takako et You. Enfin, si Way of Blue Sky donnait l’impression de tourner autour d’un seul couple pour mieux faire le portrait d’un groupe, Night Time Picnic s’efforce de faire l’inverse, trouvant dans son intérêt pour un réseau de connivences et de non-dits, matière à se concentrer sur une relation unique ; sans pour autant oublier de peaufiner quelques personnalités connexes.
Adapté d’un roman d’Onda Rika plusieurs fois primé au Japon, Night Time Picnic est un parcours initiatique hors du commun, en ce qu’il s’attache à l’acceptation d’une historicité, commune bien que contrariée, à travers laquelle non pas construire un avenir, mais le défaire de regrets. Lorsque le film démarre, Takako et Yui ne sont déjà plus des enfants puisqu’ils ont été confrontés au décès de leur père. Il leur reste toutefois à effectuer, littéralement, un bout de chemin ensemble, pour confirmer leur entrée dans l’âge adulte. La narration ne tient dès lors pas tant à la révélation du lien qui unit les deux adolescents – de somptueux flashbacks se chargent rapidement de nous le faire comprendre, avec délicatesse, comme dans un chuchotement onirique – qu’à la concrétisation du pari de Takako. Et, au travers elle, à l’effacement de l’ignorance de ses amis ; l’effondrement du quiproquo amoureux marquant une disparition certaine, mais essentielle, de l’innocence.
Ce chemin, à la fois physique et émotionnel, Masahiko Nagasawa le met en scène avec une aisance remarquable. Sa réalisation est incroyablement fluide, ses premiers plans séquences réussissant déjà à singulariser son duo protagoniste au milieu d’une foule adolescente. Le film navigue entre la gêne que Takako et You se renvoient en marchant au travers d’autant de regards, partagés ou dérobés, et celle qu’expriment quelques réminiscences, de leur scolarité et de leur vie. Pour parfaire son portrait de l’adolescence, Nagasawa s’amuse à filmer les fantasmagories de ces deux héros et de leurs camarades, autant qu’il s’appuie sur les erreurs d’interprétation de ces derniers, quant au déni amoureux supposé qui perturbe l’intégrité de leur groupe – alors qu’il devrait la renforcer. Ces errances sont d’ailleurs le sel du métrage, comme le prouve l’apparition du frère d’Anna, dont tout le monde est persuadé qu’il est en réalité un fantôme, ou ce personnage animé qui vole des paires de chaussures pour connaître les pensées de ses propriétaires.
En dépit d’un point de départ forcément redondant – l’hésitation d’une vie encore jeune, sans cesse rejouée sur vingt-quatre heures – Night Time Picnic parvient ainsi à être profond, drôle et enthousiasmant. Le bonheur qu’il procure s’exprime tout autant sur notre visage que sur celui de Mikako Tabe, lorsque le groupe d’amis redéfini, fabrique, de ses propres mots, son dernier souvenir de jeunesse en franchissant la ligne d’arrivée de ce singulier festival : l’incroyable sourire de la jeune actrice, remarquable comme à son habitude, augure des meilleurs auspices pour cette impulsion déguisée en achèvement.
Night Time Picnic est disponible en DVD au Japon, sans sous-titres ; lacune qu’il partage avec une édition taïwanaise moins onéreuse.






