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Japon | Festival du film asiatique de Deauville 2007

Nightmare Detective

aka Akumu Tantei | Japon | 2006 | Un film de Shinya Tsukamoto | Avec hitomi, Ryuhei Matsuda, Masanobu Ando, Ren Osugi, Shinya Tsukamoto

Est-ce que le ciel est bleu ?

Autant ne pas tourner autour du pot : Nightmare Detective est une pure merveille. Comment pouvait-il en être autrement, avec Shinya Tsukamoto devant et derrière la caméra, Ryuhei Matsuda en détective hors du commun, et hitomi en plein écran pendant près de deux heures ? Film fantastique total, en communion avec un sujet passionnant, Nightmare Detective est une variation notable dans la filmographie de Tsukamoto, tout en prolongeant les édifices Haze et Tokyo Fist. Explicitons.

I hate this !

Le lieutenant Keiko Kirishima (hitomi) a demandé à être transférée de son poste d’élite au sein de la sécurité nationale, assise derrière un bureau pour déjouer les méfaits du crime organisé, vers celui de détective, où elle pourra acquérir l’expérience de terrain qui lui manque. Mais la princesse, comme la surnomme son supérieur (Ren Osugi), sera-t-elle à même de supporter, en l’absence totale de sens de l’humour, le quotidien sanglant qui est le leur ? La première affaire qui lui échoit devrait permettre de le déterminer : des victimes sont retrouvées sauvagement mutilées, après un carnage suicidaire plus ou moins conscient. Dans un état de cauchemar, les suicidés involontaires appellent à l’aide, comme on peut l’entendre dans l’enregistrement de leurs dernières communications téléphoniques, toutes dirigées vers un mystérieux « Zéro »... Pour éviter la déroute, le supérieur de Keiko lui confie l’une des deux approches de l’enquête : celle, paranormale, exigeant de trouver un intervenant extérieur adéquat. Prestataire idéal, Kyoichi Kagenuma (Ryuhei Matsuda) possède la faculté de s’immiscer dans les rêves des gens. Un procédé qu’il abhorre pourtant, tant celui-ci est effrayant et dangereux, pour lui comme pour son hôte rêveur. Contre son gré, Kagenuma va pourtant aider Kirishima-san dans son périple intérieur, aux frontières de la mort...

Nightmare Detective est un film de Shinya Tsukamoto, cela ne fait aucun doute : son montage stroboscopique, entre plans utra-rapides et secoués et plans fixes, renforcé par la musique de Chu Ichikawa, prend le spectateur aux tripes dès les premiers instants du métrage pour ne plus le lâcher, ses infra-basses caractéristiques vous mettent mal à l’aise, Tokyo est verticalement omniprésent et les couleurs - une teinte de bleue caractéristique - sont bien celles de son univers. Pourtant, Nightmare Detective n’est pas un Tsukamoto comme les autres. Expérience a priori nihiliste jouant sur l’une des plus grandes problématiques de la société japonaise - le suicide - le film est moins en marge que ses prédécesseurs sans pour autant être grand public. Pour expliciter ce changement, le réalisateur a fait appel au génie Ryuhei Matsuda, mais surtout à hitomi, chanteuse J-pop plutôt kawaï, néophyte du grand écran et à mille lieux des velléités destructrices du réalisateur. Le visage de la chanteuse faite actrice (magnifique, froide, juste) est pour Tsukamoto un nouveau terrain d’expérimentation : les gros plans sur son visage occupent ainsi une immense partie du métrage, imposant son regard aux spectateurs avec une insistance rare.

L’univers de Tsukamoto a toujours été un univers de cauchemars, et en tant que prolongement - au moins dans sa dernière partie - de l’exercice Haze, Nightmare Detective n’échappe pas à la règle. A partir du moment où l’on s’immisce dans le gouffre qui pervertit le cœur de Kirishima, Tsukamoto annihile la notion de réalité. Inconscient, subconscient, sentiments refoulés et zones inexplorées de l’âme sont le terrain de jeu de Tsukamoto, qui s’acharne à expliciter la force qui accompagne la volonté d’autodestruction de l’homme. A priori influencée, comme elle l’était dans le Suicide Club de Shono Sion auquel Nightmare Detective fait par moments penser, cette pulsion de mort qui est au cœur de l’œuvre du réalisateur (Bullet Ballet par exemple) est ici terrifiante en ce que l’on devine qu’elle est présente en chacun de nous, ne demande qu’à être déclenchée. Terrifiée par ce qu’elle découvre sur elle-même, Kirishima va devoir livrer son combat à plusieurs niveaux : contre Zéro, contre un Kagenuma suicidaire qui souhaite l’entrainer avec lui, contre une partie d’elle-même - celle-là même qui, emplit d’un vide pernicieux, a souhaité se confronter aux horreurs de la mort criminelle - qui souhaite mettre fin à ses jours. Jamais bridé par les narrations traditionnelles, Tsukamoto met en scène ce conflit schizophrène avec un brio ahurissant, usant de montages biologiques hypnotiques pour symboliser l’explosion d’un rêve, d’une personnalité, de visions cauchemardesques indéfinies et traumatisantes.

L’une des forces de Nightmare Detective est aussi l’une de ses faiblesses : Tsukamoto met en place un univers et des personnages aux possibilités infinies, dont il décide consciemment de n’utiliser qu’une fraction du potentiel, pour se concentrer sur une histoire simple - et, pour la première fois de sa carrière, foncièrement optimiste. Chemin faisant bien sûr, il nous aura terrifié avec sa capacité à donner corps à une menace invisible à la seule force de sa caméra, agressé avec des meurtres d’une sauvagerie rare, épuisé avec sa propension toujours plus forte à la claustrophobie, violé avec sa compréhension de notre nature duale et foncièrement vouée à l’extinction. Mais à l’image de Kirishima, il aura su déceler dans cette dualité que certains caractérisont de négative, une beauté incroyable, le lieu d’une acceptation dangereuse qui fait trembler Kagenuma (hallucinant Ryuhei Matsuda), conscient du caractère trouble des eaux dans lesquelles nage l’humanité. Cette acceptation d’une humanité constamment sous la pression d’un environnement urbain écrasant, d’une biologie/spiritualité menacée par la technologie, ainsi que l’illustrent les images d’hitomi debout entre les immeubles de Tokyo (des substrats explicites de Tokyo Fist), poussée à s’oblitérer elle-même. Plus introspectif que jamais, Tsukamoto livre avec Nightmare Detective son plus petit film d’une certaine façon, l’un de ses plus beaux aussi, dans lequel on a envie de se replonger pour revivre ce merveilleux malaise horrifique, capable de nous faire apprécier l’impulsion de mort pour mieux saisir l’envie de vivre, de nous imposer la première pour que la seconde devienne durable. En étant conscient du danger permanent que cela représente : celui-là même que Kagenuma a certainement détécté en Kirishima lorsqu’il a lu ses pensées, qu’il a lui-même renforcé... avant de le redouter. Transient creatures, ain’t we all...

Nightmare Detective a été diffusé au cours de la 9ème édition du Festival du film asiatique de Deauville, dans le cadre du Panorama.

- Article paru le mardi 10 avril 2007

signé Akatomy

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