No.3
Doucement mais sûrement, nous remontons le cours de la carrière de Han Seok-Gyu, de Tell Me Something à ses débuts. La vision de No.3 s’inscrit donc dans cette démarche qui consiste à tenter de cerner un peu mieux cet acteur exceptionnel qui possède autant de facettes que de rôles différents.
Le film de Song Neug-Han semble jouir d’une réputation certaine en Corée du Sud, et pour cause : aux côtés de Han Seok-Gyu (affublé d’une coupe de footballeur eighties pour l’occasion), on retrouve l’étonnant Choi Min-Sik (le terroriste de Shiri), mais aussi le héros de The Foul King (Song Gang-Ho) et son compère catcheur dans le même film. Un casting de rêve, en quelque sorte. Voilà pour une présentation qui, à elle seule, devrait justifier votre intérêt pour No.3.
Le "numéro 3" du film n’est pas un confrère de notre cher Prisonnier, mais Tae-Ju, un gangster bas de gamme, petite frappe aux grands rêves qui essaye tant bien que mal de gravir les échelons de l’organisation à laquelle il appartient. Criminel idéaliste jusqu’au bout des ongles, il ne fait confiance qu’en sa femme Hyeon-Ji (et encore, seulement à 51%) et est en conflit permanent avec Ashtray, un personnage simpliste qui démolit le crâne des gêneurs à coups de cendrier et qui poursuit les mêmes ambitions que lui.
Un jour, Tae-Ju sauve la vie à son patron, menacé par Cho Pil (Song Gang-Ho) et se retrouve propulsé numéro 2 de l’organisation. Malchanceux de nature, Tae-Ju ne tardera pas à redevenir numéro 3. Forcé de déménager après une agression parmi tant d’autres, il atterrit dans la même résidence que Dong-Pal, un flic grossier surnommé "le tueur de gangs", avec lequel il développe une relation ami/ennemi très particulière, qui va changer le cours de sa carrière. Pendant ce temps-là, Cho Pil essaye de créer son propre gang, avec l’aide de trois subnormaux qu’il initie à des théories agressives et anachroniques, dans le but de faire tomber le gang de Tae-Ju ; et Hyeon-Ji se découvre un talent pour la poésie aux côtés de Rimbaud, poète désabusé et peureux...
Dés le début du film, on comprend bien que le titre d’éternel troisième ne s’appliquera pas qu’au personnage de Han Seok-Gyu : un peu à la manière d’un Guy Ritchie mais en moins stylisé, Song Neung-Han nous présente rapidement une galerie de personnage qui vont, tout au long du film, se débattre pour tenter d’entrer dans le 21ème siècle la tête haute. No.3 est segmenté en trois parties, intitulées respectivement Swan (cygne), Kids et Chaos, qui possèdent chacune une narration propre. Swan se concentre sur les rêves de Tae-Jun, et sur son ascension aussi accidentelle que temporaire. Le titre de ce premier segment, tout d’abord mystérieux, est justifié par une métaphore utilisée par Tae Jun pour justifier son calme apparent, plus proche de la résignation que d’une quelconque force de caractère : à la surface de l’eau, un cygne semble glisser gracieusement, alors que, sous l’eau, il agite maladroitement les pattes pour tenter de se maintenir à flot. Ce cygne trouve écho en chaque personnage du film, et notamment de façon explicite en celui de Cho Pil, développé dans le second segment, Kids. Cho Pil est un gangster puéril et ultra-violent qui bégaye quand il s’énerve, et qui vit suivant des codes d’honneur et de survie qui n’ont plus aucun sens dans le monde moderne du crime organisé. Mais le Chaos de la troisième partie, qui va réunir tous les personnages du film, va lui donner la chance de réaliser une partie de son rêve, indirectement, alors que tant d’autres s’écrouleront, par choix ou par opportunité.
No.3 est un film atypique qui traite le monde des gangsters comme celui d’une petite entreprise à l’aube d’une mondialisation inévitable, incapable de s’organiser face aux progrès, affaibli par des principes quasi-artisanaux. Song Neung-Han y dresse le portrait d’autant de losers, au milieu duquel seul l’épouvantable Dong-Pal (Choi Min-Sik) surnage grâce à une certaine acceptation satisfaite.
Nostalgique et attachant dans l’affection qu’il porte à chacun de ses personnages, No.3 parvient à traduire les peurs de la Corée face à son industrialisation effrénée (comme le fera Green Fish plus tard la même année, toujours avec Han Seok-Gyu), mais aussi face à son importance nouvelle sur la scène internationale, au travers d’un échantillon étonnamment représentatif. Et ce de façon aussi intelligente que drôle, émouvante et surprenante - comme beaucoup de films coréens, finalement !
No.3 est disponible en DVD coréen chez l’éditeur Spectrum. Copie anamorphique très belle accompagné d’un 5.1 efficace, des sous-titres anglais un peu hésitants et pas mal de suppléments.


