No Mercy
Riverside murder case.
La découverte du cadavre d’une femme, privée d’un de ses bras dans la mise en scène de ses membres découpés, réunit aux abords de la rivière Keum trois figures classiques du polar : un flic vieillissant, peu compétent, misogyne et grande gueule ; une jeune recrue gaffeuse et méprisée (Min Seo-young, Han Hye-jin), objet de son acharnement ; et un médecin légiste à la frontière du star system (Kang Min-ho, Sol Kyung-gu), qui fut un temps le professeur de la demoiselle. Trois personnages qui gravitent autour du sordide véhiculé par la victime, et déclinent autant de tons plus ou moins déplacés : si l’humour contamine la scène de crime, par le biais d’un quiproquo entre Min et Kang, le détachement professionnel de ce dernier, à l’inverse, pervertit l’autopsie hardcore de la victime. L’expertise de Kang, soutien tacite à l’avancement de Min, donne à notre détective l’impulsion nécessaire à la résolution, brillante, de l’affaire. L’enquête est alors tellement maîtrisée, le jeu de piste tellement cohérent, que la démonstration laisse l’impression, comme souvent, que l’assassin – Lee Sung-ho, un activiste écolo (Ryu Seung-beom) – ne demandait, du haut de son puzzle égocentrique, qu’à être découvert ; servant autant à faire briller le scénariste qu’à satisfaire ce besoin, tacite, de ne pas avoir une héroïne plus intelligente que le spectateur lambda. Arrestation, aveux, fin. Félicitations et remerciements à qui de droit, pour la prompte résolution d’une affaire sans faille.
Pourtant, cette matière qui, dans tant de cas, suffit à nourrir un long métrage, ne constitue ici qu’un film dans le film, introduction exemplaire autant que cynique – Kim Hyeong-joon livrerait-il un commentaire implicite, sur la propension de ses confrères à dilater inutilement leur écriture ? – au terme de laquelle No Mercy commence, doucement, à justifier un titre jusqu’alors insaisissable. Alors que l’enquête se conclut, Kang découvre que le coupable a orchestré l’enlèvement de sa fille, et qu’il lui lance, à l’insu des procédures officielles, un défi contradictoire : réussir à réfuter toutes les preuves que le médecin légiste a lui-même étalées, et que Lee a entérinées de ses aveux, afin de garantir son retour à la liberté. Le cas échéant, la fille de Kang, revenue des USA après des années d’absence, mourra.
En l’espace de quelques instants, No Mercy bascule du terrain balisé du tout venant de l’expertise criminelle à l’écran, à l’inconnue d’une mise à mal de sa propre rigueur d’écriture. Comment abattre un édifice d’une telle stabilité, par le biais de ses propres fondations ? Malin, Kim Hyeong-Joon nous impose l’air de rien les œillères de Kang Min-Ho, trop occupé à trouver comment ses compétences pourraient s’invalider elles-mêmes pour s’intéresser au pourquoi. Et garder en tête que la culpabilité et son attribution, quelles qu’elles soient, ne changent strictement rien à la froide réalité d’un cadavre, cette humanité bafouée que Kang lui-même, ne considère que comme une simple preuve désincarnée. Plus dure sera la chute...
On aurait pu se douter que No Mercy ne serait pas un polar pluriel de plus, dans la « simple » filiation d’un Memories of Murder par exemple, en s’intéressant à sa diffusion au cours de l’édition 2010 de l’Étrange Festival, dans le cadre d’une carte blanche à Alejandro Jodorowky. Sieur Santa Sangre n’est pas homme à se contenter de violences superficielles ; pourtant No Mercy démarre sous les auspices d’une violence graphique apparemment gratuite, sans fondements... A la manière d’un Tell Me Something, dont il est réminiscent au-delà de quelques membres sectionnés, ce premier film que Jodo qualifie à juste titre de « démentiellement raffiné » se plait à occulter ses possibles derrière une palette d’excès, prenant son temps pour abattre les cartes d’une cruauté, morale, bien plus forte que ses images froides et léchées. Si le film traine en longueur et s’appuie un temps sur sa propension au twist, il reste toujours fascinant et se rattrape dans l’ampleur de sa cohérence, multiple, rétroactive – et d’une méchanceté rare.
No Mercy, contrairement à Old Boy - qu’il éclipse à mes yeux sans jamais déployer la même maestria tape-à-l’œil - et conformément à son titre qui fait office, a posteriori, de déclaration d’intention, ne recule devant rien pour faire ployer Sol Kyung-gu, toujours intensément parfait, seul architecte de sa destruction appliquée ; un exploit d’autant plus remarquable que celle-ci résonne dans la structure du film elle-même, sans cesse livrée à son auto-psychanalyse. No Mercy est un tour de magie dont les ficelles, visibles, occultent finalement la nature du tour lui-même autant que l’identité du magicien ; très belle et cruelle illusion cinématographique sur la responsabilité et la rétribution.
No Mercy est d’ores et déjà disponible en DVD coréen, sous-titré anglais. Et comme à chaque fois que je craque pour un DVD coréen, il s’apprête à sortir dans l’hexagone (le 17 novembre prochain), sous la bannière de CTV. Une bonne chose, assurément !




