Old Stone
Chauffeur de taxi, Chen Gang renverse un scooter, son client en état d’ébriété lui ayant donné un coup sur le bras. Paniqué et l’ambulance n’arrivant pas, il décide de transporter le blessé à un hôpital tout proche. L’homme reste dans le coma et Chen Gang décide de payer ses frais médicaux car il s’agit d’un migrant dont la famille habite loin. Sans le savoir, il vient de mettre le bras dans une machine infernale qui va l’avaler tout entier, mais surtout son âme. Sa femme et son entourage lui reprochent cette action de bon Samaritain, qui lui semblait pourtant la plus honorable, car il va ruiner sa famille. Nous retrouvons Chen Gang quelques mois plus tard alors que l’accidenté travaille de nouveau et parcourt la ville en deux roues, son sauveur le suivant discrètement. Quelles sont ses intentions ?
Old Stone débute comme tant d’autres films du cinéma indépendant chinois des années 90, chroniquant les changements négatifs provoqués par la libéralisation économique du pays. Un des principaux étant une individualisation croissante, poussée à son paroxysme et qui conduit dans ce film à adopter une attitude inhumaine. Johnny Ma filme sans fard, adoptant un style proche du documentaire.
Le cinéaste décrit un monde qui a perdu le sens des valeurs. Celles-ci sont sens dessus dessous : la normalité devient d’abandonner un blessé même s’il risque de mourir au lieu de l’aider. Dans son scénario, il « joue » avec cette inversion des valeurs. Le geste de Chen Gang à l’hôpital qui devrait tuer provoque le retour à la vie…
Le caractère de normalité du film est altéré dès les premières images, avec un plan qui s’avérera récurrent, celui d’une forêt de bambou agitée par le vent. Il résonne comme un avertissement : l’ordre naturel des choses a été bouleversé.
Le film va dans une seconde partie s’éloigner de cette veine réaliste pour se tourner vers le thriller. L’ambiance, le montage et les actes des personnages lui donnent un style marqué par le cinéma américain. D’autres réalisateurs avant Johnny Ma ont traité de la profonde transformation de la Chine via le film de genre. Diao Yinan l’avait fait avec Black Coal, sorti en 2014, et dont le rendu visuel a inspiré le réalisateur d’Old Stone. Ces influences sont assumées par le cinéaste, qui réalise là son premier long métrage.
Mais une telle combinaison a déjà été tentée il y a encore plus de temps, dans Chien enragé d’Akira Kurosawa notamment. J’évoque ce film pour plusieurs raisons, à commencer par un motif secondaire, la rixe de chiffonniers à la fin de Old Stone. Je fais surtout le lien en raison du contexte de l’époque : le film de Kurosawa se déroule également pendant une période, l’après Seconde Guerre Mondiale au Japon, où le sens des valeurs a été bouleversé et où l’individu peut facilement faire le mauvais choix. Le cinéaste utilise aussi une approche documentaire dans sa plongée dans les bas fonds de Tokyo.
Le film de Johnny Ma pourra sembler à certains un peu trop malin, mais Old Stone pourrait aussi attirer un plus large public que traditionnellement pour ce type de production.
Old Stone a été présenté en compétition officielle lors de la 38ème édition du Festival des 3 Continents (Nantes, 2016).




