On the Job
Dans les rues de Manille, Tatang et Daniel, doyen et jeunot, profitent de l’agitation et la liesse d’une fête populaire pour abattre une figure politique. Après une soirée de liberté, les deux hommes s’en remettent aux forces de l’ordre, non pas pour être arrêtés, mais escortés en prison, chez eux, où leur condition d’assassins au service de la corruption locale est parfaitement organisée autour de l’idéale couverture carcérale. Tandis que Tadang, vieillissant, forme Daniel à reprendre le flambeau et porter la responsabilité des exécutions à venir, un homme politique véreux, en passe de devenir sénateur, profite de ses appuis pour déposséder un flic honnête de l’enquête sur l’assassinat et la donner à son fils Francis, membre du NBI forcément promis à un brillant avenir. L’un apprend à tuer, l’autre tente de percer à jour les exactions de son paternel et de ses relations haut-placées et de résister à la corruption... tout le monde tente de faire son job.
Erik Matti, déjà connu d’une certaine catégorie de cinéphiles pour son film de super-héros Gagamboy (2004) et le plus récent Tiktik : The Aswang Chronicles (2012), s’est fait remarquer cette année au Festival de Cannes d’un public plus large, au cours de la Quinzaine des Réalisateurs où On the Job était présenté. Cette histoire pessimiste de violence et corruption s’avère être un excellent polar, quoique déroutant. Son réalisateur choisit en effet de ne pas s’appuyer sur la facilité de son excellent postulat – traquer des assassins qui sont déjà en prison – pour formuler son intrigue en simple enquête. Au contraire, On the Job énonce ses réalités comme autant de suspenses désamorcés, pour se concentrer sur le portrait d’une génération corrompue et de son hérédité impossible, constat désabusé d’une impasse sociétale au travers de ses rouages humains, de filiations en miroir.
Plus qu’un film d’écriture, On the Job est donc un film de mise en scène, qui fait la part belle à la topographie de Manille et à ses particularités culturelles. De la foule et des ruelles de la ville à l’univers carcéral, la réalisation d’Erik Matti évolue, de points de vue multipliés et saccadés à une caméra unique et fluide, capable de superbes plans séquences. Paradoxalement, l’ouverture, l’extérieur s’accompagne de fait d’une certaine oppression, alors que la prison, l’intérieur, prend des airs de liberté. Puisque la « vraie vie » - comprendre la ville – incarne la corruption et le mensonge, en politique comme en famille, la prison philippine, avec son négoce autorisé, sa quasi auto-gestion, et ses rapports de force explicites, prend des airs de communauté autrement plus sincère. Mieux dedans que dehors.
Le rythme posé d’On the Job pourra déstabiliser : son intrigue avance d’elle-même, par le deus ex machina d’aveux opportuns, sans que l’on comprenne réellement les recherches menées et déductions associées, avec une nonchalance en phase avec une bande son plus cool que dopée à l’agressivité urbaine. Cela permet néanmoins de se concentrer sur ses fascinants protagonistes ; à commencer par le Tatang incarné par Joël Torre, qui bénéficie d’une attention autrement plus grande que son homologue politique - l’autre figure paternelle du film. Faussement monotone, l’acteur jouit d’une présence remarquable. Il tend à lui seul un voile de gris sur l’image, efface toute dichotomie manichéenne de l’édifice, donne du poids à ses explosions de violence. Il porte en lui toute l’inertie et le cynisme d’une détestable tradition : la survie comme seul métier à remplir. Quoiqu’il en coûte aux générations qui aimeraient croire en quelque changement que ce soit, en quelque naïveté.
On the Job est sorti en DVD & VOD le 3 septembre dernier chez Wild Side.
Remerciements à Wild Side, Annabel Leroy et Benjamin Gaessler.




