Oyster Factory
Un plan panoramique de la petite ville côtière d’Ushimado revient à plusieurs reprises dans Oyster Factory. Il montre des parcs à huitres, semblables à des îles à demi-submergées, parsemées dans la baie et mélangées aux îles naturelles. Et pourtant, cette cité de la Mer intérieure du Japon n’a pas de caractère insulaire, les grands courants qui transforment notre époque, en particulier la mondialisation, viennent battre ses côtes.
Des raisons personnelles ont conduit le documentariste japonais à séjourner à Ushimado où son attention a été attirée par les ostréiculteurs. Son film débute classiquement sur l’exposition de leur quotidien. Les huitres sont récupérées en mer, ouvertes à la main, collectées avant d’être expédiées pour être conditionnées. Ce travail essentiellement manuel et ne semblant pas très épanouissant est effectué par des personnes d’un certain âge, en particulier beaucoup de vieilles femmes. L’absence de jeunes est notable.
Les œuvres de Kazuhiro Soda peuvent se voir comme un tout, des portes menant de l’un à l’autre de ses films d’observation. Dans Oyster Factory, cette caractéristique est encore plus présente que dans les précédents. Si le plan anecdotique d’une affiche du PLD dans l’une des usines évoque le poster de Campaign, le véritable lien entre les deux films est la catastrophe nucléaire de Fukushima et son impact sur la vie du pays.
L’un des ostréiculteurs présents à l’écran exerçait auparavant cette profession dans la région de Fukushima avant de devenir un exilé économique dans son propre pays. Nous découvrons en même temps que lui que certains naissains (larves de différents mollusques, dont les huitres) viennent encore de son ancienne région pour alimenter les fermes ostréicoles du pays, quand bien même ils sont contaminés. Potentiellement, les huitres qu’ils donneront le seront aussi...
Cet exil économique fait écho à un autre déracinement. Un message sibyllin écrit sur une feuille épinglée au mur, 中国 くる, soit la Chine arrive, annonce en effet l’arrivée prochaine de deux travailleurs chinois. Le thème principal de Oyster Factory est là : pourquoi faire venir de la main d’œuvre émigrée, et comment se passe cette cohabitation ?
Sur la foi des seules images, la cause semble être rapidement entendue : le travail est trop sale et trop difficile pour intéresser les jeunes japonais, d’ailleurs totalement absents de l’écran. Mais quand Kazuhiro Soda demande au futur propriétaire de l’usine s’il a déjà essayé personnellement de recruter des Japonais, on s’aperçoit qu’il n’en est rien.
L’aplomb avec lequel il s’attaque aux idées reçues est le point fort de ce sixième film d’observation du cinéaste japonais. Ce dernier bat en brèche une seconde en juxtaposant deux scènes, technique qui lui est familière. Un électricien chargé de l’installation des mobile home où les travailleurs chinois vont loger prévient sans fard qu’il faudra s’en méfier car les Chinois sont des voleurs ! Quelques minutes plus tard, lors du paiement en liquide des 620 000 yens pour le mobile home, l’acheteur verse 100 000 yens de trop, une paille, une erreur que le vendeur semble hésiter à faire remarquer. Malhonnêteté ou simple inadvertance, le doute subsiste.
Quant à la cohabitation entre les nouveaux arrivés, l’absence d’une langue commune est le principal obstacle, mais elle semble bien se passer. Du moins au début de ce séjour où les deux parties font connaissances l’une de l’autre, car l’ostréiculteur explique au réalisateur qu’il est temps pour lui de partir.
Oyster Factory a été présenté en compétition officielle au Festival des 3 Continents à Nantes en 2015.






