Paju
Sur la lancée de son précédent film, Jealousy is my middle name, la réalisatrice Park Chan-ok poursuit son exploration des relations humaines dans toute leur complexité. Paju, banlieue sans âme de Séoul, est le théâtre d’une multitude de conflits entremêlés, dans le temps et dans l’espace. Ouverts, larvés, publics ou intérieurs, ils sont le prétexte à la mise en scène de personnages tiraillés, en perdition, simples marionnettes de leurs émotions. Multipliant flashbacks, ellipses et non-dits, Park Chan-ok dissèque durant deux heures une histoire rudimentaire pour en extraire un condensé de sentiments humains. Ambitieux ? Certainement. Un peu trop, peut-être…
Après trois mois passés en Inde, Eun-mo revient à Paju, sa ville natale. Elle découvre que l’immeuble dans lequel elle a vécu est sur le point d’être démoli, que les locataires se battent pour empêcher cette destruction et que son beau-frère veuf, Joong-shik, également meneur des protestataires, a des révélations à faire concernant la mort tragique de sa sœur…
L’histoire, sans saveur particulière, passe ici au second plan, derrière une technique de narration audacieuse visant à prolonger la confusion des personnages directement chez le spectateur. Mêlant sans avertissement flashbacks et présent, passant sans prévenir d’un protagoniste à un autre, le challenge est réussi, probablement au-delà des espérances de Park Chan-ok. Pendant une bonne moitié du film, on est complètement paumé. Si quelques explications nous sont données sur la fin, la plupart des motivations restent obscures voire inexistantes, y compris à l’issue des séquences de « révélations ». D’énigmatiques, les personnages en deviennent complètement transparents et le spectateur, blasé. Si cet effacement des humains devant leurs sentiments est probablement délibéré, l’effet est usant à la longue et le film s’essouffle d’être si virtuel, si irréel. On regrettera alors les quelques tentatives avortées d’ancrage de l’histoire dans la réalité. La sous-exploitation d’une dimension politique et sociale pourtant esquissée ou les quelques trames annexes inachevées peinent à redonner de l’allant au film qui devient long, très long.
Cette longueur est d’autant plus difficilement supportable que le film est tendu. Cette tension, tour à tour sexuelle, de démence ou de violence, est présente tout au long de l’histoire et ne laisse aucun répit au spectateur qui, fatigué, s’en détachera totalement. Les tons gris et bleutés, les grains de la pellicule et une Corée urbaine brumeuse et détrempée renforcent cette sensation d’étouffement et de malaise. Les intrigues et personnages secondaires, entrant et sortant du film sans autre explication, ne sont pas suffisamment construits pour représenter d’efficaces contrepoids à un effet de style (le film « inconfortable ») poussé à son paroxysme. Si la mise en scène de Park Chan-ok est appliquée et parfois intéressante, on lui reprochera au final l’utilisation trop systématique de grosses ficelles (flashbacks, ellipses, gros plans fixes, champs/contre-champs, etc.). Son projet, visiblement ambitieux, manque de subtilité pour être vraiment réussi. C’est dommage, tant la réalisatrice réussit par contre là où de nombreux autres ont échoué. Centré sur le personnage de Joong-shik, le film dévie ostensiblement vers les femmes qui gravitent autour de lui. Véritable point fort du film, la description réaliste d’une féminité moderne et sans stéréotype bénéficie de la sensibilité personnelle de Park Chan-ok ainsi que d’une performance admirable de la très belle Seo Woo. Elle rend authentique la pourtant délicate transformation entre adolescente et adulte, ainsi que les conflits émotionnels qui l’accompagnent. Lee Seon-Gyun est, à ses côtés, fantomatique, ce qui renforce la distance que l’on prend avec le héros mais également l’attachement aux personnages féminins.
Avec de tels sentiments mitigés, on ressort forcément déçu et frustré à l’issue d’un film dont on devine l’ambition mais qui pâtit de trop nombreuses faiblesses, tant scénaristiques que visuelles. Paju exige une implication et une attention totale mais omet au final de récompenser ses spectateurs. Pas juste.
Paju était projeté en compétition officielle lors de la 12ème édition du Festival du film asiatique de Deauville (2010).



