Parasite
Toujours fidèle à son fil conducteur sociétal, Bong Joon-Ho, après le thriller (Memories of Murder, Mother), la SF (Snowpiercer), l’horreur (The Host) ou encore la fable familiale (Okja), signe un nouveau film… plutôt inclassable. C’est qu’il y a un peu de tout ça dans Parasite, une œuvre qui finalement se nourrit des autres et qui, c’est le génie du réalisateur, arrive non seulement à vivre à leurs dépens mais aussi à briller !
Ki-Taek, sa femme et ses deux enfants survivent tant bien que mal dans un entresol délabré de Séoul. Intelligents et malicieux, ils n’ont pourtant pas de réel espoir de s’en sortir. Jusqu’au jour où leur chemin croise celui de la richissime famille Park, qui embauche le jeune fils, Ki-Woo, comme tuteur.
Toujours aussi politique, surtout lorsqu’il tourne en Corée, Bong Joon-Ho n’hésite pas, au travers de cette histoire qu’il a lui-même écrite, à dénoncer les inégalités grandissantes de la société sud-coréenne. Le premier plan, minutieux, décrivant les conditions de vie de la famille de Ki-Taek reste gravé en mémoire et contraste en filigrane avec la demeure extravagante des Park, lieu d’un quasi huis-clos pendant les deux heures qui vont suivre. L’infiltration de la famille Park par la famille de Ki-Taek est également l’occasion d’opposer la joie crasseuse des uns avec la tristesse aseptisée des autres, la ruse mauvaise et la naïveté bienveillante. Le scénario pourrait alors n’être qu’un prétexte pour mettre en valeur les oppositions des deux familles (voire trois), qui pourtant tissent, consciemment ou non, une relation d’interdépendance malsaine. Le film tout entier semble poser la question, à la société coréenne comme au monde entier : « qui sont les véritables parasites ? »
L’œuvre est pourtant bien plus que cela. Ce qui impressionne est la cohérence de l’ensemble, malgré la profusion des genres ici mélangés. Parfaitement maîtrisé, magistralement rythmé, l’écriture et le jeu des acteurs sont le lien d’un film qui semble se débattre contre un moustique (que l’on peut souvent entendre dans la bande son par ailleurs). Ou peut-être le film est-il ce moustique, dont le vol peut paraître erratique mais pour lequel aucun mouvement n’est désordonné, tout entier porté vers son objectif, piquer… la curiosité et l’intelligence du spectateur ? Il est vrai que passée la claque émotionnelle, on ne peut s’empêcher de penser à une prochaine vision, pour en décortiquer les ressorts et en tester la cohérence. A première vue, Bong Joon-Ho réussit le tour de force d’une œuvre protéiforme tout à la fois drôle, terrifiante, grotesque, intelligente, mais surtout fluide. Bravo !
Le casting est à l’avenant et profite à fond de la montagne russe émotionnelle qu’est la trame. La plupart des personnages jouant eux-mêmes un rôle, les acteurs cabotinent tout en restant vraisemblables et par-dessus tout, attachants. Song Kang-Ho est, comme à son habitude, un monstre de présence, mais mention spéciale à Park So-Dam, aussi talentueuse et convaincante qu’elle est belle. La photographie est superbe, alternant le sombre et le lumineux, comme l’on passe d’une famille à l’autre. A chaque monde sa palette, jusqu’au mélange final explosif.
La palme d’or est amplement méritée pour un cinéaste hors du commun, qui use son thème jusque dans son cadrage, anguleux, tissant une toile rectiligne (la maison d’architecte, les lignes électriques à ciel ouvert) sur laquelle viennent s’écraser ses personnages et les rêves de toutes les strates de la société coréenne. Parasite, comme son titre l’indique, s’accroche aux spectateurs longtemps après la vision. Il dérange, un peu, il paralyse, un peu, mais il fait plaisir, beaucoup.
Actuellement en salles, ne laissez pas passer l’occasion !




