Poor Folk
L’histoire de Poor Folk – ou plutôt les histoires, car elles sont croisées – nait au passage de la frontière entre la Birmanie et la Thaïlande, alors que les protagonistes du film de Midi Z. s’affirment clandestins. A-fu et A-hong, réfugiés birmans, multiplient les larcins entre Bangkok et la ville frontalière de Dagudi, se plaisent à arnaquer les touristes au détour de visites guidées ou s’essayent au recel de médicaments aptes à être transformés en amphétamines, dans l’idée de racheter la sœur du second, vendue par sa famille en mal de moyens. En parallèle, on suit le quotidien désinvolte de Sun-mei, qui travaille pour des trafiquants de femmes dans l’espoir d’obtenir un jour des papiers lui permettant de quitter la Thaïlande pour Taïwan.
Il semblerait que le titre de Poor Folk soit inspiré de celui du premier roman de Dostoïevski – Les Pauvres Gens -, roman épistolaire s’intéressant, déjà, à la vie du prolétariat russe. Le Poor Folk de Midi Z., lui, s’intéresse à l’une des franges limitrophes de la population thaïlandaise, nourrie par l’immigration clandestine depuis la Birmanie. Ses protagonistes vivent dans un cercle fermé de crimes et trafic, de soi et des autres, sans espoir de le quitter pour un monde meilleur. Ainsi Sun-mei, qui s’effondre en larmes dans les bras d’une mère maquerelle / trafiquante, consciente que ses papiers n’arriveront certainement jamais.
En dépit de son constat pessimiste, Poor Folk, par la fausse légèreté de son approche, entre film de genre sans le sou et documentaire social, n’est pour autant pas dénué d’humour. La volonté d’A-hong et A-fu d’écouler un stock de médicaments dont personne ne veut, est l’occasion de croiser d’étonnantes figures de la mafia locale, de l’insoupçonnable matriarche au gang parodique, qui joue le jeu de la hiérarchie des parrains alors qu’ils ne sont que trois. Ce qui est intriguant, c’est que bien qu’il soit ici question de trafic de personnes, ce microcosme de laissés pour compte fait preuve, d’un côté comme de l’autre, d’une certaine nonchalance. J’imagine que c’est là le visage le plus vivable de la résignation : si chacun s’emploie à trouver une porte de sortie, c’est plus pour tuer le temps et continuer à survivre que dans l’espoir réel de changer de situation. Dans l’univers de Poor Folk, l’énergie du désespoir est synonyme de mort, aussi vaut-il mieux prendre son temps, son mal en patience, sans trop s’appesantir.
Cette notion de patience douloureuse – en plus d’être vaine – c’est le personnage de Sun-mei qui l’illustre le mieux, entre son quotidien dans un bordel, fait de petits bavardages, et son travail au service des trafiquants, en tout point similaire. Attendre, toujours : que le client arrive, qu’un clandestin franchisse la frontière, que les papiers arrivent. Et ne pas trop se débattre, contrairement à cette jeune fille vendue – peut-être la sœur d’A-hong ? - qui, sans cesse, tente d’échapper à ses ravisseurs.
Poor Folk puise sa pertinence dans ces portraits, à la fois déconcertants et attachants, dans cet ennui, cette lutte vaine au ralenti dont il se fait l’écho sans fioritures. Midi Z. parvient même à capter des images d’une beauté singulière, comme ce plan intégrant à la nature un avion en proie aux flammes, se consumant, comme les protagonistes, dans une certaine indifférence. Il est par contre souvent difficile de saisir la réalité de l’enchevêtrement narratif, des coïncidences et filiations à l’écran. A la limite cependant, qu’on comprenne précisément la temporalité des causes et effets de Poor Folk importe peu, puisqu’il dépeint des vies enfermées dans un cercle de condamnation, dont on devine bien, dans les derniers instants du film, qu’il se rejoue sans cesse, sans début ni fin.
Poor Folk a été présenté lors de l’édition 2013 du Festival des 3 Continents (Nantes), en compétition officielle.
Remerciements à l’équipe des 3 Continents.


