Precut Girl
Une jeune japonaise, exilée en France pour tenter de donner un sens à son quotidien, décide d’en finir avec la lassitude et l’incompréhension que suscite le monde qui l’entoure. Elle se jette sous une rame de métro parisienne ; pourtant, le lendemain, la jeune femme se réveille dans une décharge à quelque distance de son domicile, dans une bâche translucide hermétique. Perplexe, elle retourne chez elle, se saisit cette fois d’une lame pour s’ouvrir le ventre. Et découvre un instant délicieux, entre la vie qui s’enfuit et la mort qui s’immisce, qu’elle s’acharnera désormais à retrouver après chaque résurrection. Quitte à obtenir d’un homme – Max, français soumis croisé au détour d’un café – qu’il la tue de ses mains, chaque jour que Dieu, finalement, ne fait peut-être pas.
Deux ans après Kaojikara, Eric Dinkian, notre confrère de DeVildDead, livre avec Precut Girl son second court-métrage. De nouveau tourné en japonais, cette deuxième œuvre s’inscrit dans la filiation cinématographique de la première, sans pour autant en reprendre une certaine exubérance esthétique. Precut Girl partage avec le Martyrs de Pascal Laugier, cette quête de l’instant de mort outrepassé, à une différence notable près, qui atténue la violence potentielle du propos : le terrain d’exploration premier chez Dinkian, n’est pas les autres, mais soi-même.
Travaillant toujours dans un grand soucis de cohérence, esthétique et narrative, Precut Girl est un film à la symbolique explicite, comme l’illustre la renaissance quotidienne de son héroïne déracinée. La bâche qui l’isole un temps de notre réalité, percée telle la membrane d’un cocon récurrent, est une chrysalide d’autant plus urbaine qu’elle se déploie dans l’inconfort d’une décharge. Marginale, la jeune femme interprétée par Karin Shibata est un rebut de notre société exclusive, et renaît au milieu d’objets en fin de vie. Cette membrane par ailleurs, est le siège d’un érotisme discret, dans l’obscénité délicate des lèvres de l’actrice, pressées chaque jour contre le plastique, juste avant que l’air raréfié ne laisse place à son premier souffle.
Comme Kaojikara, Precut Girl est un film à la réalisation impeccable. On y retrouve une fois de plus l’héritage de Shinya Tsukamoto, que ce soit dans l’apparition tardive, en lettres capitales et sur sonorités métalliques, du titre du film, une fois son enjeu explicité, ou dans les obstacles urbains que la caméra interpose entre son objectif et son héroïne. Toujours étrange étrangère, Karin Shibata est le lieu d’un déracinement très cinégénique que Dinkian exploite de façon plus posée, moins onirique que dans Kaojikara. Son cinéma a gagné en maturité, c’est évident, et l’on retiendra avant tout de Precut Girl sa densité exemplaire de narration. Rythmée par la voix off omniprésente de l’actrice, celle-ci bénéficie d’un calibrage d’autant plus remarquable que l’on sait que la mode est aujourd’hui à l’étirement des idées ; même si, dans la conclusion du film, la voix de l’héroïne aurait pu s’effacer tant les images sont explicites, pertinentes. Eric Dikian semble alors douter, modeste, de la qualité de son écriture et de sa mise en scène.
Qu’il n’en doute pas : son film est une réussite de plus, une promesse singulière dans le panorama cinématographique français. Precut Girl parvient à asseoir sa poésie tour à tour morbide et urbaine – Karin Shibata portant sa chrysalide synthétique comme une robe de mariée – sans s’abandonner au nihilisme le plus complet. Dinkian reconnaît certes que notre monde, avec son absence de repères et de logique, est un lieu d’incompréhensions et d’inadéquations. Mais il accorde aussi à la vie, en tant que prélude apte à mettre en valeur l’instant de mort, toute son importance ; autant qu’il identifie la valeur, même perverse et brutale, du partage humain. Une démarche torturée, certes, mais qui permet à chacun de trouver sa place dans une existence qui se ressent, bien plus qu’elle ne s’explique ou se comprend.
En savoir plus : http://www.myspace.com/ericdkn
Remerciements - et encouragements sincères - à Erik Dinkian.




