Princess Aurora
Une femme arrive dans un centre commercial. Alors qu’elle se rend aux toilettes, elle tombe sur une mère en train de gronder sa petite fille. Le ton monte et la harpie entraîne l’enfant en larmes dans un cabinet, où elle la rue de coups avant de la mettre à la porte pour pouvoir passer tranquillement un coup de fil. Notre témoin sèche les larmes de la petite fille en silence et l’escorte hors des toilettes. Lorsqu’elle revient quelques instants plus tard, elle enfonce le cabinet de la femme qui n’était en fait qu’une marâtre, et l’assassine brutalement, à l’aide d’un ustensile de cuisine.
La police ne tarde pas à arriver sur les lieux du crime. Jung et son partenaire Oh - le premier aussi fougueux que le second, pasteur wannabe, est taciturne - sont en charge de l’enquête. Tandis que les deux hommes commencent à amasser les preuves, nous découvrons l’identité de notre meurtrière : Sun-jung est vendeuse de voitures d’import. Et, après que celle-ci ait été fortement désagréable avec une employée d’un service de livraison alimentaire, Sun-jung va assassiner une seconde garce, l’une de ses propres amies. La police ne va pas tarder à faire le lien entre ces deux meurtres ; il faut dire aussi que Sun-jung les aide en laissant, sur les lieux de ses exactions, un autocollant à l’effigie d’une héroïne animée, Princess Aurora. Et Oh découvre sur les vidéos de surveillance le visage de Sun-jung, ouvertement tournée vers une caméra qu’elle salue, comme si elle s’adressait directement à lui...
Princess Aurora est l’histoire d’une vengeance ; celle d’une mère meurtrie, détruite par le décès de sa petite fille. Cette vengeance qui se dévoile peu à peu, sous le regard méticuleux de la caméra, aurait très bien pu être celle d’un film de Park Chan-wook, quelque part entre la douleur nihiliste de Sympathy for Mr. Vengeance et la conscience de mise en scène d’Old Boy. Princess Aurora toutefois, bien que certainement influencé, s’extrait de la simple référénce par le biais d’une chose essentielle : sa sensibilité. Certains diraient que si sensibilité il y a, elle est forcément féminine, et il se trouve justement que c’est le cas puisque Princess Aurora est le premier film, en tant que réalisatrice mais aussi auteur, de l’actrice Bang Eun-jin (Address Unknown, Birdcage Inn, The Uprising). Dans le moindre de ses aspects, Princess Aurora est donc avant toute chose, un film de femmes.
Sun-jung est un portrait de femme à la fois simple et complexe, foncièrement complet. Elle a été mariée et est désormais divorcée, a connu la maternité avant de se retrouver seule, elle a donné la vie et l’a prise. Tout ceci lui confère une sorte d’omniscience, qui facilite la suspension d’incrédulité du spectateur face aux meurtres pourtant peu discrets du personnage. Une omniscience encore renforcée par la narration du film, qui prend bien soin de ne révéler que dans ses derniers instants, la raison du choix des victimes de Sun-jung, schizophrène volontaire qui se fait la porte-parole de sa petite fille, violée et assassinée il y a des années, l’incarnant parfois, alors qu’à d’autres elle prétend être Princess Aurora, son héroïne préférée au service de la justice. Femme, Sun-jung l’est donc encore plus qu’elle en incarne plusieurs tout au long du film, ce que reflète à merveille l’interprétation de Uhm Jung-hwa, tour à tour froide, attirante, effrayante, charmante, infantile...
J’ai toujours pensé, en tant qu’aspirant auteur, qu’une histoire ne se raconte que si on en connaît la fin, qu’elle peut difficilement naître d’un simple background, d’une juxtaposition de personnages et d’univers. Princess Aurora, dans sa conclusion qui est une révélation mais pas un twist, renforce pour moi cette certitude, tant il apparaît évident qu’il a été écrit pour mettre en images, avant tout le reste, le terme du parcours meurtrier de Sun-jung et la force silencieuse de ses retrouvailles distantes avec son ex-mari, père de la défunte. Ce dernier personnage est d’ailleurs l’un des autres atouts de Princess Aurora : ce détective qui caresse une vie religieuse, loin des figures hard-boiled du genre, est une figure merveilleuse de simplicité, dans son évocation d’une consolation et d’une rédemption impossibles. Car à terme, Princess Aurora est un film pessimiste, dans lequel la mort en amont mène inévitablement à la mort en aval, surtout lorsqu’elle est portée par la force motrice de la vengeance. En cela, Bang Eun-jin rejoint une fois de plus son compatriote Park Chan-wook. Si elle le fait avec moins de brio que le chef-d’œuvre Sympathy for Mr. Vengeance, elle le fait toutefois avec beaucoup plus de sincérité et d’intérêt qu’Old Boy, consciente que production values (comme dans bon nombre de productions coréennes récentes, l’image et la photographie sont d’une qualité hallucinante, presque irréelle) et réalisation soignée ne riment pas forcément avec esbrouffe ; ce qui lui permet de livrer, au final, un film de qualité, d’une cohérence exemplaire.
Princess Aurora est disponible en DVD coréen chez Cinema Service, sous-titré en anglais, packagé de façon bien étrange et accompagné d’une planche de stickers à l’effigie de l’héroïne animée éponyme, au cas où vous prendrait l’envie de devenir copycat...




