Princess-D
De l’art de mal vendre un film, et de le condamner par conséquent à ne jamais se trouver un public... En la matière, Princess-D est une assez belle leçon de plantage publicitaire. Pourquoi avez-vous lu un peu partout, à propos de ce film, qu’il s’agissait d’une espèce de sous-Final Fantasy version HK ? Et bien tout simplement parce que la bande-annonce est presque uniquement composée d’images de synthèse, et plus particulièrement d’une héroïne virtuelle ressemblant de très près à Angelica Lee. Et pourtant, de la succession d’images du trailer ne se dégage aucune trame en rapport avec un quelconque univers virtuel... En fait, le problème est que le trailer, ne donnant aucune indication narrative, laisse libre cours à l’imagination du spectateur... et ce dernier de se prendre à rêver d’un film HK presque entièrement en synthèse ! On peut le comprendre... mais il faut parfois pousser un peu plus loin, et s’intéresser par exemple à celle qui se place pour l’occasion derrière la caméra, réelle ou virtuelle, pour distinguer le vrai du faux...
Sylvia Chang... Ce nom ne vous dit rien ? En tant que réalisatrice, à moi non plus ; en tant qu’actrice par contre...
Entre 1973 et aujourd’hui, cette grande dame du cinéma HK a joué dans plus de 80 long-métrages... Un rôle connu ? Et bien celui de Nancy (la petite amie de Karl Maka) dans la série des Aces Go Places (Mad Mission), par exemple. Ah, j’en vois qui se réveillent, tout de suite ! Mais ce n’est pas tout : de Chicken and Duck Talk (Clifton Ko, 1988) où elle interprère la femme de Michael Hui, à Twin Dragons (la mère des "deux" Jackie Chan), en passant par All About Ah-Long (Johnny To, 1989) ou encore Eat Man Drink Women (Ang Lee, 1994), on peut dire que la carrière de Sylvia Chang offre un panorama plutôt représentatif du cinéma "chinois" (on pensera pour l’occasion en termes larges) des trente dernières années !
En 1981, Sylvia Chang est passée pour la première fois derrière la caméra avec Once Upon a Time. Suivront Passion (1986), The Game They Call Sex (1987, avec Maggie Cheung et David Wu)... et quelques autres titres, jusqu’au récent Tempting Hearts (1999), mélodrame avec Takeshi Kaneshiro, Karen Mok et Gigi Leung. Plus indépendante - voire auteurisante, visiblement - que commerciale, donc. Du coup, même si on place à ses côtés le nom d’un autre réalisateur, il est difficile d’imaginer Sylvia Chang livrer un blockbuster de SF en images de synthèse... et pour cause, Princess-D en est très très loin ! Place à la déception pour certains, à la bonne surprise pour les autres.
Ah oui j’oubliais : en tant que fan inconditionnel d’Angelica Lee (et ce aussi bien en tant qu’actrice qu’en tant que chanteuse), il va m’être difficile de rester complètement objectif sur toute la durée de cet article. Vous êtes prévenus...
Joker (Daniel Wu) travaille en tant que designer 3D pour une société multimédia en vogue. Son travail efficace et novateur sur une publicité pour une compagnie d’assurances, lui vaut d’être retenu pour plancher sur une héroïne virtuelle, une "princesse" qui doit permettre aux joueurs de vivre une vie par procuration. Alors qu’il semble prêt à abandonner son poste, opposé à la direction bêtement raccoleuse choisie par son patron, Joker fait la connaissance de Ling (Angelica Lee), et ce de façon plutôt inhabituelle...
En fait, Joker a déjà croisé la jeune fille sur un marché, où elle vendait de la nourriture aux badauds. La revoila maintenant en tant que barmaid branchée dans un bar techno futuriste, dealant discrètement de la drogue derrière le contoir. Un "raid" étant annoncé dans la soirée, Ling se débarasse rapidement de quelques cachets compromettants. Deux de ceux-ci tombent malheureusement dans le verre du trop sérieux Joker, qui se retrouve, excessivement défoncé, au milieu d’une lutte entre deux gangs ennemis. Le temps de son trip, Joker a le temps de comprendre que l’un des gangs compte en ses rangs le frère de Ling. La jeune fille s’oppose à la masse de voyoux dans une séquence que l’imagination dopée de Joker parre d’atouts vidéo-ludiques...
Avec l’aide de son petit frère Kid (Edison Chen) - branleur de luxe auquel leur père (un professeur de danse interprété tout en retenue par... Anthony Wong, yes !) ne cesse de trouver du boulot - Joker va tenter de convaincre Ling de devenir sa "Princess-D" (l’inspiration lui venant à la fois de "Princess Diana" et de "Princess Digital")...
Autant vous l’avouer tout de suite - et ceci ne constitue aucunement un spoiler, plutôt une correction - il y a moins d’une dizaine de minutes d’images de synthèse pures sur toute la durée du film ; quelques unes au début (la pub de Joker) et quelques autres à la fin, celles-ci servant respectivement de prologue et d’épilogue à la tranche de vie développée ici par Sylvia Chang - ce qui, dans le contexte de la rencontre entre Ling et Joker, donne qui plus est une légitimité à l’utilisation de la technique.
En réalité, Princess-D est un film qui raconte l’histoire de deux êtres qui se croisent, l’un plein d’illusions (Joker), l’autre de désillusions (Ling). Pour le premier, c’est une certaine pureté - d’emblée assimilée à de la naïveté - par rapport à son métier qui le pousse vers l’avant. Dans le cas de Ling, c’est le poids de son histoire qui la tire vers le bas - et plus encore celle de sa famille, puisque son père est en prison, que sa mère a claqué un fusible, et que son frère accumule les dettes qu’elle doit s’occuper de rembourser. Ensemble, ils vont reconstruire un rêve qui, s’il passe par un travail commun, ne peut pour autant aboutir côte à côte...
A l’image de cette relation impossible, la réalisation de Sylvia Chang navigue entre le tape à l’oeil travaillé (la superbe scène de "combat" sous acides, les séquences en synthèse) et le classicisme tranquille (les moments de repos de Joker et Ling, toutes les scènes avec Anthony Wong). L’écart entre les deux protagonistes trouve donc un écho dans la mise en scène sans pour autant la déséquilibrer - Sylvia Chang préférant, sur la durée, le jeu d’acteur au spectacle.
En tête, bien sûr, on retrouve Angelica Lee, absente des écrans (et des bacs des disquaires aussi, d’ailleurs) depuis le superbe Betelnut Beauty. A la fois fraîche et mature, la jeune actrice (26 ans) dégage, comme dans chacun de ses rôles, une énergie de vie absolument étonnante. Joyeuse et triste, douce et brutale, Angelica Lee est la plus charmante femme-enfant du cinéma HK actuel, une espèce de Shu Qi moins consciente de son corps, qui exprime encore la majorité de son jeu par le regard (qu’elle a magnifique). En deuxième place - et pour le coup je suis absolument objectif - je placerais non pas Daniel Wu (même si celui-ci s’en tire vraiment bien aussi), mais Anthony Wong. Peu présent à l’écran, il n’a jamais été aussi doux, aussi imposant (au niveau émotionnel) tout en se tenant, comme son personnage, en retrait de la "nouvelle génération" qui lui donne le change. Comme quoi le plus grand pervers de la Terre est avant tout un acteur merveilleux.
Et le film avec tout ça, que vaut-il exactement ? On pourra trouver étrange le choix du cadre "informatique" pour illustrer une telle histoire, avant tout humaine ; mais c’est justement dans ce paradoxe apparent que le choix effectué prend tout son sens.
Bien qu’un peu trop explicite, Princess-D parvient à remplir haut la main son contrat : celui de nous faire partager la vie d’une jeune fille condamnée à souffir pour ceux qui l’entourent, et qui ne pourra jamais voler de ses propres ailes en dehors d’un quelconque univers virtuel - la seule chose que le personnage interprété par Daniel Wu pourra jamais lui offrir. Un univers au sein duquel le rêve sera toujours la première force motrice. Ce que la vie devrait, toujours, être.
DVD HK "Director’s Cut" édité par Media Asia.
Copie anamorphique au format, pas révolutionnaire (le film est quand même sorti il y a moins de trois mois...) mais plutôt jolie par rapport à la moyenne de l’éditeur.
Bande-son 5.1 (efficace) ou DTS au choix.
Sous titres anglais, chinois traditionnel ou simplifié.
En guise de suppléments : trailers, teasers, le "carnet" de Princess-D, making-of... ces derniers malheureusement sans sous-titres.



